On ne connaîtra vraiment Jim Thompson qu'après les années 70 et grâce à l'adaptation de ses romans au cinéma. "Guet-apens" 1972, “Ordure de flic” 1976, "Série Noire" 1979, "Coup de torchon" 1981 et plus tard, “La mort sera si douce” 1990, "Les arnaqueurs"1991, "The killer inside me" 2010. Adaptés avec plus ou moins de succès. Quelques collaborations à des scénarios ("L'Ultime Razzia" 1956 et "Les Sentiers de la gloire" 1957) et un rôle secondaire dans "Adieu ma jolie", 1975. L'écrivain meurt dans la solitude en 1977.
De son adolescence où il s'essaie à la vente illicite de drogues, entre autres emplois «alimentaires», Jim Thompson commence à écrire et dépeint la réalité sombre de l'Amérique des perdants. Auteur prolifique et inconnu des années 40, l'écrivain s'essaie à des textes autobiographiques, et en 1942 sort son premier roman "Ici et maitenant".
A la fin du marché des “Pulps”, il aura abandonné plus de 14 romans et nouvelles.
Stephen King décrira en peu de mots, celui qu'il appelle “Big Jim” :
"il s'est forcé à tout voir, puis à l'écrire et ensuite à le publier"
Ce qui fait de Thompson un écrivain sensible, et permet ainsi de mieux appréhender sa lecture et sa faculté à ne rien détourner ni édulcorer. Si l'on devait le comparer, dit-on, il se rapprocherait plus d'un Horace Mac Coy ou d'un James Mac Cain dans leur description des personnages, et l'art de la narration nerveuse. A contrario, chez Chandler, le verbe appuie le stoïcisme de ses héros, chez Thompson le verbe est à contre-sens et dénoncerait plutôt un déséquilibre mental.
Robert Polito son biographe, compare certains passages de ses livres aux glaciales photos de faits divers réalisées par Weegee dans les années 30.
Pour ceux qui le connaissent, Thompson est considéré comme un des plus grands auteurs (avec Shane Stevens, trois livres dont “Au-delà du mal”) de romans à inspiration criminelle. Ses intrigues ne versent pas vraiment dans le sensationnel, mais se révèlent efficaces pour pointer la douleur et l'hypocrisie des petites villes, jouant des contradictions et de l'autodestruction.
Les héros de Thompson sont de bons petits gars, que la misère du monde n'épargne pas et qui à force de persécution, prendront "les armes" ! Souvent peu engageants, alcooliques à fortes tendances psychopathes, ils deviennent rapidement des tueurs, laissant aller leur instinct premier si longtemps contenu, sans pouvoir y résister. Certains de ces gars-là sont des "fous furieux", dans le bon sens du terme, encore une fois, pour Thompson, le ton est amer mais, paradoxalement, les humanise. Grossier mais jamais vulgaire, surfant sur la comédie noire pour une réalité sans concession, il bafoue allègrement les codes du polar noir, inversant les tendances, toujours de manière incisive. Des bas-fonds à l'Amérique rurale, une psychologie des personnages travaillée et perspicace, passant d'un extrême à l'autre, et une bonne dose de bienveillance envers ses anti-héros, où la fiction souvent poisseuse se mêle si bien à la réalité. Sans oublier des dialogues exquis, nets et souvent drôles. L'écriture elle-même est simple, imagée, sans effet pompeux de style, et nous plonge aisément dans les affres de l'esprit torturé de ses héros.
Mais il n'y a pas grand-chose qui vaille dans ce bas monde. Peu d'amour voire pas du tout. L'idée de rédemption souvent récurrente chez tous les auteurs de polar noir et de cinéma n'existe pas ou si peu chez Thompson.
A la suite de son second roman, en 1946, il dira :
"je n'ai jamais voulu faire autre chose qu'écrire, aussi loin que remontent mes souvenirs, mais la plupart du temps, j'ai réussi à presque tout faire...sauf ça !".
L'alcool, les périodes d'inactivité et les problèmes financiers, lui rendent la vie difficile. Il rétorque d'ailleurs à son agent en 1975 "inutile de dire que ma situation financière est ce qu'elle a presque toujours été... bien que je ne m'y sois pas encore habitué".>
"Ecrits perdus" est un recueil de nouvelles et de textes parus dans les magazines de littérature populaire ("Pulps") au début des années 20, notamment des textes rédigés sur commande et intégrant les inédits des années 70.
Un condensé varié pour mieux cerner le monde désespéré de Thompson et mieux situer les grands tournants de sa vie littéraire. Nouvelles, reportages et articles, textes autobiographiques, poésie et folklore...On retrouvera dans plusieurs de ces nouvelles, le style et l'obsession propres à ses romans les plus célèbres.
- "Le paturâge de béton" s'attachent aux années 20/30, soit avant la publication de son premier roman, portraits et enquêtes, rappelant son intérêt pour les faits-divers. L'intelligence de l'écriture relève à la fois de ses histoires personnelles et de son style particulier à l'élaboration de ses articles sur le crime qu'il retranscrit (à l'exigence des “Pulps” et : “tel qu'on le lui a raconté...”) dans la nouvelle "Le complot des amants de l'Oklahoma", "La mort étrange d'Eugene Kling", Publiés dans le "Texas Monthly" et ses articles relatant les crimes, parus dans "True Detective" entre autres.
- "Les déshérités", (années 40/50) sont des textes écrits en même temps que ces romans les plus connus. "Un alcoolique se regarde" qui s'inscrit dans ses textes autobiographiques, "Le matou qui était aussi grand qu'un arbre", ou encore "La mort n'a pas tenu le pari", qui témoignent plus précisément de l'alcoolisme.
On aura moins l'impression ici de noirceur, même si l'on retrouve un certain cynisme et cette façon de ne pas nous laisser nous échapper. La qualité et la puissance de son propos sont indéniables.
Extrait :
La vie ne recèle pas grand mystère pour Pancake Butts : il sait que la gnôle est faite pour être bue et il peut vous dire qui a gagné la guerre. Il peut également vous dire beaucoup d'autres choses, par exemple, pourquoi la famille américaine n'est pas une réussite ou encore ce qui ne va pas avec la religion... mais tout ceci ne donne qu'une bien faible idée de son esprit pénétrant. Comme il le dit lui-même, “ça prouve seulement de quoi est capable un homme quand il se met à cogiter”. On pourrait penser que la vie, en dotant M. Butts de la sagesse des dieux, y aurait ajouté l'amère couronne du sarcasme ; mais compte tenu de tout ce qu'il a découvert ainsi que nous l'avons signalé plus haut, l'attitude de Butts envers les brillantes idées de ce siècle est plus indulgente que critique. Il considère ses pensées les plus profondes comme si elles étaient tellement évidentes qu'elles en devenaient plaisantes. En fait, Mr. Butts ne manque presque jamais d'épicer ses trouvailles proprement socratiques d'un rire qui remet les choses à leur place. Il a un peu l'air de dire, comme les manuels scolaires le faisaient, “d'ailleurs, même les écoliers savent tout ça”.
- Qui a gagné la guerre ? Ha, ha ! Fait-il en riant. Ben, c'est le capital qui a gagné la guerre...Qui tu croyais qu'c'était ? Qui d'autre pouvait gagner la guerre. Pendant tout le temps que les travailleurs étaient au front, à suer et à crever de faim, le Capital se remettait en selle, il se reposait et il engraissait. Finalement quand les Travailleurs ont été vannés et qu'ils n'ont plus été capables de se battre, le Capital est descendu de cheval et c'est lui qui a dirigé le spectacle. “Vous trouvez pas que c'est simple, logique et tout c'que vous voudrez ?” >
(Pancake Butts : “Ces messieurs les zonards”).
Dans ses ouvrages Dieu est là aussi, même quand il est absent. Ce sera le mot de la fin :
«Si le Seigneur a commis une erreur en nous créant, nous les humains, c'est celle de nous donner envie de vivre quand nous avons le moins d'arguments valables pour nous accrocher à notre existence.»