Dans un futur lointain, ce qui reste de l’humanité est structuré autour d’un immense château, ancienne bâtisse qui servait à atteindre les étoiles. Le monde est menacé par la dévoration, un phénomène stellaire qui devrait obscurcir le système solaire et détruire toute vie sur Terre. Face au Roi se sont dressés les Ingénieurs, en désaccord sur la méthode pour contrer la catastrophe à venir. Enfin, la Crypte, une sorte d’intelligence artificielle, permet à chacun de disposer de huit vies réelles puis de huit avatars virtuels pour qui le temps s’écoule différemment. Parmi tout ceci, Bascule, un jeune moine capable de plonger dans la Crypte pour en retirer des informations psychiques, se sent investi d’une mission débutant par la recherche de sa copine la fourmi qui parle.
Paru en 1994 et lauréat du British Science Fiction Association Award dans la foulée, il aura fallu attendre presque 20 ans et le courage d’un petit éditeur, L’œil d’Or (non spécialisé en science-fiction, mais dont la collection Fictions & Fantaisies devrait intéresser plus d’un visiteur de nooSFere), pour que sorte une traduction française de ce Feersum Endjinn, peu avant la mort soudaine de son auteur, Iain Banks.
Pourquoi une telle attente ? Tout d’abord, Efroyabl Ange1 ne fait pas partie du cycle de la culture pour lequel l'auteur est surtout connu en France. Ensuite et surtout, parce que le roman trainait une réputation d’œuvre difficilement traduisible.
Composé de 10 chapitres divisés chacun (a l’exception du dernier) en quatre parties correspondant chacune à un narrateur, toujours dans le même ordre, c’est en arrivant au quatrième personnage que l’on comprend la difficulté : Bascule s’exprime dans une phonétique hasardeuse et perturbante au premier abord. Mais pas d’affolement : si les premières lignes de ce raconteur nécessitent un effort, on s’habitue vite à ses tournures et seuls quelques mots résistent à une compréhension rapide. Car Bascule, en plus de son orthographe, a une façon personnelle de parler, franche et directe, que Banks constelle d’humour et que l’excellente traduction d’Anne-Sylvie Homassel rend particulièrement bien.
Au-delà de ce tour de force stylistique, l’auteur écossais réussit avec Efroyabl Ange1 un livre complet : sur une courte distance (moins de 300 pages), l’écrivain empile les sujets et les personnages, les développe sans perdre le lecteur et construit une intrigue riche et fine. Les pérégrinations de Bascule et des autres narrateurs, d’abord peu évidentes à cerner, finissent par former un tout cohérent et solide, ou rien n’est inutile. Enfin, remarquons qu’Efroyabl Ange1, s’il n’est pas à proprement parler un roman difficile, nécessite une lecture attentive pour ne pas laisser passer des informations importantes à la compréhension. De l’attention, oui, comme pour la dégustation d’un vin rare et précieux, de la première à la dernière gorgée.