Très belle et très complexe machine, engin de concentration massive, petit tour de force d'imagination et d'écriture, Effroyabl ange1 se tient un peu à part dans l'oeuvre de Iain M. Banks , oeuvre solo ne faisant pas partie du cycle de la Culture et travail presque expérimental sur la narration polyphonique . Publié en 1994, cet ouvrage est la rencontre avant l'heure entre Matrix et Inception.
Le monde est menacé par un nuage qui grignote le ciel. Les hommes, descendants d'une diaspora humaine qui s'est évaporée dans les étoiles, les laissant perplexes au milieu des reliques d'une technologie et d'une science fabuleuse mais redevenue magie, cherchent désespérément une sortie, une solution à l'anéantissement. Ils ne sont pas les seuls. Le monde réel n'est plus que la strate supérieure d'un énorme mille-feuilles de réalités virtuelles qu'habitent des milliards d'entités numériques et autres IA qui elles aussi s'inquiètent de la disparition prochaine du monde réel. Car combien de temps le hardware qui porte cet univers résisterait-il au cataclysme cosmique?
Le livre est donc une série de plongées, d'immersions plus ou moins profondes dans ces strates virtuelles (la crypte), où chaque action résonne verticalement jusqu'à la réalité. On suit les aventures individuelles de quatre personnages qui ont tous en commun de surfer ces réalités, et d'être tous en quête d'un secret dont ils ignorent tout. une scientifique qui suit les phénomènes étranges de la réalité brute rencontrera les habitants du monde numérique, un jeune moine (il y a du "Cantique pour Leibowitz" dans l'air ici) se bat contre des êtres improbables au sein de la crypte, une AI se réveille amnésique et déambule sans comprendre dans le monde réel, un ancien dignitaire perd toutes ses vies et parcourt des années durant le dernier monde qui lui reste, sorte d'anti-chambre de la mort ).
Le génie de Iain Banks est de rendre chacune de ces quatre aventures aussi intéressantes les unes que les autres tout en faisant monter une tension prenante, lorsqu'il devient clair que ces quatre personnages sont en route vers une collision finale. L'imagination extrême de Banks n'a jamais été aussi florissante, aussi machiavélique que dans cet ouvrage où politique archaïque, science mystique, archéologie du futur et moments d'action frénétiques se chevauchent au sein d'un grand complot que l'on devine à peine. Banks empile mystères sur mystères, coups de théâtre sur coups de théâtre sans faiblir une minute. Il en fait un peu trop parfois et cette série de plongées entre les réalités peut aisément dérouter, mais cela reste un régal à lire si l'on reste concentré :-)
Banks partage avec Haruki Murakami une défaut qui le tiendra toute son oeuvre durant : il n'est pas un très bon finisseur. Et comme Murakami , on lui pardonne aisément tant ses romans sont passionnants de la première à l'avant dernière page. Celui-ci ne fait pas exception , qui se résout un poil trop vite, mais de façon grandiose.
C'est la troisième fois que je lis ce bouquin (dont la récente traduction française est très bonne parait-il) et je sais qu'il ne me faudra pas longtemps avant d'avoir envie d'y retourner.
A lire absolument.