D'un côté, un marin italien qui patrouille au large de la Sicile à la recherche des bateaux de clandestins.
De l'autre côté, un jeune Soudanais qui veut passer en Europe.
Le roman de Laurent Gaudé est très documenté et l'auteur nous décrit avec un grand réalisme et beaucoup d'humanité le destin contradictoire de ces deux hommes. Si ça s'arrêtait là, ce serait déjà un bon roman.
Mais il va plus loin, et c'est ça qui fait d'Eldorado un excellent roman.
La narration transforme cette histoire en un grand récit mythologique. Des personnages apparaissent, comme cette femme rappelant les Erynies grecques (la vengeance incarnée) ou cette ombre de Massambalo (le dieu africain des exilés), qui rythment le récit et influencent le destin des personnages.
Ensuite, il y a le thème du voyage, qui est lié, ici, au changement complet de vie. Celui qui part abandonne tout. Partir, c'est mourir. Totalement. Inexorablement. Il n'y a aucun retour en arrière possible. Ces Ulysse en souffrance ne pourront jamais rentrer chez eux, ils n'évoquent même pas cette hypothèse. Un seul choix se présente : réussir, ou être condamné à errer pendant des années (comme Boubakar, parcourant depuis sept ans les chemins africains à la recherche d'une porte vers l'Europe).
Mais c'est aussi un roman sur l'espoir. Sur des hommes et des femmes qui n'abandonnent jamais. Malgré sa position sûrement privilégiée, le soldat italien est envieux de ces ombres errantes, car l'espoir les fait vivre pleinement, les rattache à la vie et les tourne vers le lendemain. Ce sont des hommes qui ont une raison de vivre, un objectif que beaucoup, en Europe, ont perdu de vue.
A la fois intelligent et simple à suivre, émouvant (les adieux de Soleiman à sa famille et à sa ville sont déchirants) et passionnant, un roman formidable.