C'est le premier livre écrit par une femme où je me dis que oui, un homme n'aurait pas pu écrire cela.


Elise ou la vraie vie raconte l'histoire d'une romance entre une jeune femme qui découvre l'émancipation par le travail dans une chaîne automobile et un travailleur Algérien, pendant la guerre d'Algérie. Le livre est découpé en une courte première partie, qui sert de prologue, et la seconde.


La première partie décrit le monde étriqué d'Elise Letellier, dans une petite rue où elle vit avec sa grand-mère et son frère Lucien. Lucien est un beau parleur, ami avec Henri, un jeune intellectuel de bonne famille qui le sensibilise à la lutte des classes. La jeune fille et la grand-mère se saignent aux quatre veines pour cet enfant chéri. Après un grave accident de sport, il épouse Marie-Louise, une beauté dont la pauvre Elise est jalouse. Lucien découche après avoir été à des meetings communistes. Elise le suit dans ses lectures anticolonialistes et syndicalistes, pour tenter de le comprendre. Il délaisse sa jeune épouse. Il finit par partir découvrir ce qu'est le vrai travail et communiquer ses idées révolutionnaires. En réalité, il a aussi une aventure avec une jeune secrétaire, Anna. Marie-Louise dépérit, s'occupant comme elle peut de sa jeune fille. La grand-mère part à l'hôpital. Elise vend ce qu'il reste et décide de partir rejoindre Lucien.


La deuxième partie se passe à Paris. Elise rejoint Lucien, installé dans un foyer pour travailleurs. Apeurée, elle entre à l'atelier 76 des usines Renault . On lui confie le rôle de contrôler en fin de chaîne le montage de certaines pièces. Les cadences sont terribles. Elle est formée par Daubat, un contrôleur très pro, et a pour contremaître Bernier, qui s'avère à l'usage raciste et petit chef. Elle a pour ange gardien Gilles, un syndicaliste solaire, exemplaire. Sa vie est rythmée par la sirène, les pauses entre deux sessions exténuantes. Elle côtoie Mustapha, un immigré algérien qui maîtrise mal le français mais est très chaleureux. Entourée d'hommes, au contact de Paris, elle découvre lentement sa féminité. Elle rencontre surtout Arezki, un Algérien sombre et peu causant. Lucien tient un meeting car un camarade travailleur est mort en Algérie. Pour son anniversaire, Arezki propose un rendez-vous à Elise. Le coeur de la jeune femme palpite. Ils s'arrangent pour se voir sans croiser de connaissances, car le soir, le couvre-feu touche tous les Algériens, soupçonnés de travailler pour le FLN. Mais quand ils entrent dans un bistro, on les dévisage, et l'homme à la table d'à côté dit bien fort des phrases comme "foutre les ratons dans des camps".


Elise prend conscience qu'il y a du racisme aussi du côté des ouvriers français. Son frère, dont la direction veut se débarrasser, est envoyé à l'atelier peinture, qui met à mal ses poumons, et sa santé se détériore rapidement, tandis qu'Henri continue à jouer les directeurs de conscience depuis son Olympe d'intellectuel. Et à l'usine, la liaison avec Arezki finit par s'ébruiter. Un soir, Arezki, qui cache où il habite, autorise Elise à venir à la Goutte d'Or. Elle croise un oncle qui tient une cagnotte pour le FLN. Elise est témoin d'une perquisition au cours de laquelle Arezki est profondément humilié par des policiers français. Il ne garde pas rancune aux Français, comprend l'état de guerre. Un jour, tous les Algériens chantent sous la direction de Mustapha un chant du pays, à la pause. Lucien doit partir à Bicêtre. Bernier s'acharne sur Elise, poussant à bout Arezki, qui est renvoyé. Il disparaît dans une rafle. La vraie vie aura duré 9 mois. Mais Elise a beaucoup appris de cette liaison.


De l'extérieur, ce résumé donne à ce roman un aspect assez prévisible, mais l'écriture est toute en sensibilité. C'est un livre qui ne passe pas par le pathos. Je le rapproche beaucoup de Simenon, on retrouve ce réalisme tout en sensations des années cinquante, mélange de dureté, de déterminisme social illuminé par la présence d'être vrais. Des phrases courtes, mais pas sèches. Qui vont à l'essentiel. Des dialogues, des tags lus, des choses vues, sans didascalie. Sous couvert de décrire, on montre. C'est un procédé difficile et réussi, qui fait que le livre se lit d'une traite, et qu'on s'en souvient longtemps. Je termine en donnant cet extrait, une des rares envolées lyriques du livre, qui à mon sens résume sa part de féminité, de sensibilité :



P. 143 : Ô lacs assoupis, sentiers fleuris, sous-bois pleins de
fougères, champs de blé où la bien-aimée attend, plus dorée que l'or
des épis, ruisseaux que l'on suit à deux. Vieux rêves enfouis,
enterrés, mais pas morts. Voici mon partage : la Porte des Lilas, la
descente vers le Pré Saint-Gervais, avec, à l'horizon, les fumées
mourantes des usines qui s'assoupissent, la steppe banlieusarde
desséchée par le froid et l'air vicié, le boulevard quasi désert où
les voitures frôlent le trottoir, et près de moi, cet homme avec
lequel, pour la troisième fois, je vogue, comme si le paradis nous
attendait au bout.


zardoz6704
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le 21 janv. 2017

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