— Pourquoi est-ce que tu aimes autant Le Pacte des Marchombres ?
— Il y a deux réponses à cette question, comme à toutes les questions : celle du poète et celle du savant. Je commence par laquelle ?
— Celle du savant !
La trilogie du Pacte des Marchombres est à classer sans hésiter dans le rayon "fantasy jeunesse", ce qui ne veut pas dire qu'elle est sans intérêt. Là où d'autres se contentent de recycler les mêmes univers, les mêmes personnages, les mêmes histoires, Pierre Bottero construit un univers qui a sa personnalité et reste intéressant quand on le relit avec un point de vue plus adulte.
Petite subtilité, cette trilogie, écrite après la Quête d'Ewilan et les Mondes d'Ewilan, se situe chronologiquement avant pour les deux premiers tomes, et après pour le troisième. La rupture temporelle s'accompagne d'une rupture de ton : alors que les deux premiers tomes sont centrés sur l'initiation marchombre d'Ellana et offrent un récit initiatique, le dernier décrit des évènements de beaucoup plus grande ampleur vécus par une Ellana plus mature, et prend donc une tournure plus épique.
Le premier point fort, c'est le style de Bottero, extrêmement fluide. Les livres, malgré leur épaisseur, se lisent extrêmement rapidement et la lecture est toujours légère, aérée, agréable. Et pourtant une certaine beauté se dégage de nombreux passages. Des phrases réduites jusqu'à l'essentiel ou des mots répétés, presque scandés, viennent sublimer une scène, un sentiment.
Il y a bien sûr le personnage d'Ellana, cette orpheline paumée en quête d'une liberté dont elle ignore la substance, terriblement vraie et attachante, bien plus que ne l'était Ewilan. Bottero en profite pour nous parler de sa vision de la liberté, incarnée par ce simple mot si évocateur, "marchombre". Une conception très poétique bien que parfois un peu simpliste à mon goût. Heureusement rien n'est vraiment définitif, Ellana se rendant parfois compte des failles que comportent ses choix de vie.
Et qu'en est-il de l'univers, peut-être l'élément le plus important d'une œuvre de fantasy ? Alors que je trouvais que Gwendalavir était charmant mais manquait de chair, de profondeur dans la Quête d'Ewilan, avec Ellana il semble plus vivant et cohérent que jamais. C'est sûrement lié au fait que nous suivons cette fois-ci une héroïne originaire de ce monde, tout comme l'intrigue s'y déroule intégralement.
Avec Ellana, Bottero a écrit bien plus qu'une préquelle à Ewilan, mais peut-être son œuvre la plus accomplie, touchante et envoutante, poétique et malicieuse. Sûrement ce qui s'est fait de meilleur dans le genre, a fortiori en France !
— Elle est nulle cette réponse. Donne-moi celle du poète.
Bottero est un Dessinateur hors-pair, matérialisant un monde étrange sous nos yeux ébahis, transformant les livres en rêves et tissant les imaginaires.
Rêveur de talent, il soigne comme par magie les blessures du cœur et la fatigue de l'âme, et parvient même à nous faire rajeunir de 10 ans.
Marchombre accompli, il sait se faire plus discret que le vent le temps d'une émotion forte puis trace de la pointe de la dague un poème fugace.
Comme Jilano Alhuin, fameux chevaucheur de brume, Pierre Bottero est mort mais il sera toujours là, avec nous, à travers l’œuvre qu'il a laissée.
Chevaucheur de plume.