Dire que j'ai rêvé de lire ce roman pendant des années... Il faut bien dire que cette histoire d'une femme qui attend deux mille ans pour retrouver l'homme qu'elle aime avait de quoi faire envie. Or, bien loin d'une œuvre dans une veine néo-romantique ou encore symboliste, on a droit ici a une espèce de roman d'aventure sans rythme ni action, mâtiné d'une histoire d'amour ennuyeuse. Pourtant, le potentiel ne manquait pas : passé mystérieux du meilleur ami du narrateur, objets non moins mystérieux laissés à la garde de celui-ci durant des années, messages tout aussi mystérieux, mystérieuse malédiction et vengeance familiale, cité mystérieuse et cachée aux yeux du monde, et j'en passe. le truc, c'est que Henry Rider Haggard a négligé ce qui fait le nœud-même de ce genre d'histoire : l'atmosphère. On comprend d'ailleurs, à lire ce roman, pourquoi Lovecraft s'est autant plaint des romans fantastiques du XIXème qui se contentaient de s'appuyer sur quelques éléments surnaturels et qu'il ait autant plaidé pour la littérature d'atmosphère.
Donc, alors qu'on devrait suivre pas à pas la progression des héros vers l'inconnu et l'aventure, alors qu'on devrait découvrir petit à petit qui est la fameuse Elle, appelée "Celle-qui-doit-être-obéie" (tout un programme ! ) et quel est ce secret de famille autour duquel tourne le sujet du roman... Eh bien, au lieu de tout ça, on nous déverse d'emblée l'ensemble des mystères censés nous appâter. On sait en gros qui est Elle dès les premières pages, on connaît l'histoire de Kallikratès, qu'elle a tué et dont elle attend le retour, on sait en quoi consiste l'histoire de la vengeance familiale de Léo, fils adoptif du narrateur. Bon, alors, "Warum nicht ?" me direz-vous (oui, alors, comme j'ai remarqué que plein de gens émaillaient leurs propos d'expressions anglaises ici et là, je trouve plus subtil d'utiliser l'allemand). Mais il eût donc fallu compenser cette profusion précoce d'informations par d'autres éléments mystérieux, fantastiques, troublants, que sais-je encore ? Ce qui n'est pas le cas. Haggard fait comme si nous n'étions au courant de rien et fait avancer ses personnages sur le chemin de la connaissance en toute innocence, s'exclamant régulièrement "Oh, vraiment, ceci paraît impossible !" ou "Mais que veut dire cela ?", phrases complètement hors de propos, puisque tout leur a été expliqué dès le départ et que tout ce qui leur arrive ne fait que confirmer ce qu'ils savent déjà (même si c'est un peu difficile à avaler d'un seul coup).
Quant à Celle-qui-doit-être-obéie, elle est censée terroriser tout le monde. Donc le lecteur devrait ressentir au moins un léger frisson lorsqu'elle apparaît. Tu parles ! Elle a juste l'air d'une nana bizarre et instable qui pique des coups de colère énormes, pour se calmer cinq secondes plus tard. On rit même de son pouvoir (il semblerait que se cacher les yeux avec sa main suffise à échapper à son charisme) et on comprend mal qu'on nous la présente comme la magicienne la plus extraordinaire au monde alors qu'elle s'est pris un gros vent avec une espèce de princesse égyptienne dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu'elle serait encore plus super douée en magie. Ce qui ne l'a pas empêchée (je parle de la princesse égyptienne) de laisser tuer son mari par Elle, qui est moins forte qu'elle (la princesse). Je ne sais pas si vous me suivez... J'ajoute que l'histoire d'amour suscite des bâillements prononcés plutôt que l'émotion. Tout ça manque de cohérence, de rythme, d'ambiance, les personnages sont peu intéressants, et on s'ennuie pas mal. Suis pas sûre de lire la suite, du coup.