"Voilà ce que [les baleines] dérobent, en passant : notre impression d'être importants". Car il faut bien le dire, cette impression a la peau dure. Si dure que vous pouvez bien avoir vécu jusque-là dans l'idée de votre conscience du vivant et rester comme deux ronds de flan en découvrant votre ignorance. En fait, vous vous apercevez que vous ne savez pas grand chose de ce qu'on appelle le réel. Que la beauté est là, de ce monde, mais que c'est à peine si vous êtes capable de la voir. Peut-être parce qu'à votre décharge tout est fait pour détourner votre regard, de sorte que vous pouvez vivre une vie entière sans savoir que "nous sommes contemporains de géants. Des plus grandes personnes à avoir habité la terre". Une vie à rêver de mers et d'océans sans savoir que les êtres parmi les plus doués d'empathie, d'intelligence sociale et émotionnelle s'y trouvent : "ces intelligences surgies des vagues réenchantent les étendues d'eau. D'une certaine manière, il faut les voir pour y croire".
L'extraordinaire est là : des cétacés majestueux qui percent la toile du temps avec leurs "34 millions d'années d'intelligence marine complexe, de souvenirs, d'échanges, d'interactions". Le livre de Camille Brunel est une brèche ouverte sur ce monde que nous pouvons être tentés de mythifier tant les capacités intellectuelles, sociales et émotionnelles des cétacés sont prodigieuses.
Mais le livre évite cet écueil : qu'est-ce que nous disons de nous si nous sacralisons des animaux dès le moment où nous découvrons qu'ils peuvent aimer, jouer, penser et souffrir ? Toujours la même chose : que nous sommes décidément très limités.
Finalement, quand Camille Brunel écrit sur les merveilles du vivant, il écrit sur ce qui est à la portée de notre regard, pour peu que nous "regard[ions] les animaux dans les yeux".
Je m'arrête là. Lisez Camille Brunel : vous y trouverez de la hauteur de vue, des faits, de la beauté et de l'amour.