Au diable la sagesse
Il est fou, mais nous le sommes tous. Grand esprit de la Renaissance, c'est lors de ses virées équestres à travers l'Europe que lui prit l'idée de composer cet éloge, initialement conçu comme une ...
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le 8 mai 2016
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Il est fou, mais nous le sommes tous.
Grand esprit de la Renaissance, c'est lors de ses virées équestres à travers l'Europe que lui prit l'idée de composer cet éloge, initialement conçu comme une petite frivolité à destination de son grand amis Thomas More, lui aussi chef de file des penseurs de la Renaissance.
Erasme loue ici la folie en la personnifiant, en effet : "Quoi de mieux pour la folie que de claironner elle même sa gloire et de se chanter elle-même ?". Et puis de toute façon qui la défendrait ?
C'est à travers une prose à la première personne que la Folie s'emploie donc à énumérer tous ses bienfaits, et à quel point elle est se glisse, se terre dans tous les recoins de l'existence, des mariés -quoi de plus fou que de se marier- aux menteurs, des ecclésiastes aux rhéteurs, des hommes politiques aux sages, des faméliques Grammairiens aux tristes parents : on y passe tous, et cela ne fait que renforcer l'emprise que peuvent avoir ces quelques pages sur notre entendement.
Qui de mieux que la Folie pour moquer les borborygmes abscons des pseudo-philosophes, les élucubrations insensées des Stoïciens ?
"D'après les Stoïciens, la Sagesse consiste à se faire guider par la raison, la Folie à suivre les mobilités des passions. Pour que la vie des hommes ne fut pas tout à fait triste et maussade, Jupiter leur a donné beaucoup plus de passions que de raison"
Fille de l'Ivresse et de l'Ignorance, la Folie a enfanté de nombreux serviteurs, qui l'aident à régner sur le monde, à guider secrètement nos misérables existences, et pas des moindres : l'Amour propre, La flatterie, l'Oubli, la Paresse, la Volupté, l'Etourderie ou encore la Mollesse. Qui sait à quoi ressemblerait nos passages sur Terre sans ces précieux alliés ?
C'est une fois présenté que la Folie initie son court réquisitoire contre la raison et tous les désagréments qu'elle occure, c'est sous la forme de légers aphorismes qu'Erasme choisit d'écrire, il va sans dire qu'on se laisse doucement bercer par ce doux flot de folles pensées. Il n'omet aucunement de glisser à travers les lignes une insouciante satire de l'humanité, de ses vices et de ses absurdité. Mais à ne point s'y méprendre, la satire est celle d'un humaniste et elle est plus humoristique que corrosive.
Cependant, au fil des pages, celle ci devient de plus en plus virulente, en témoigne la longueur des aphorismes, substantiellement à l'encontre du Clergé et de l'influence ecclésiaste sur la société lui étant contemporaine.
C'est à travers de nombreux exemples, inspirés pour la plupart des penseurs grecs et romains, avec une mention spéciale pour Homère, que la Folie dispense ses arguments et nous convainc petit à petit de l'importance de son rôle. Il nous prouve à quel point la Folie nous emplit tous de joie, d'ivresse et de délices, à quel point les hommes lui doivent tout.
Qu'y a t'il de pire que la sagesse, que les philosophes qui pensent saisir le monde dans toute sa complexité et nous aider à en faire de même alors qu'ils ignorent tout d'eux-même ?
Au fond, qui de mieux placer pour apprécier la vie qu'un bouffon ? Non-soumis aux inextricables pensées rationnelles, et dont les saillies grotesques chassent de nos vie tout ennui.
Sans folie : "Aucune société n'a d'agrément, aucune liaison n'a de durée. Le peuple ne supporterait pas longtemps son prince, le valet son maître, la suivant sa maîtresse, l'écolier son précepteur, l'ami son ami, la femme son mari, l'employé son patron, le camarade son camarade, l’hôte son hôte, s'ils maintenaient entre eux tromperie réciproque flatterie, prudente connivence, enfin le lénifiant échange du miel de la Folie."
Cela pourrait durer encore longtemps tant mes idées sont diffuses et tant Erasms insuffle à la philosophie un plaisir de lecture que seul Nietzsche saurait égaler.
Cette critique n'a aucun sens mais quoi de mieux que l'absurdité pour faire l'apologie de la frivolité ?
A l'heure du désenchantement du monde Weberien, du triomphe de la raison, quoi de mieux que de se plonger dans ces 80 pages intemporelles qui emplissent les cœurs et les esprits du miel délicieux de la Folie.
"Revenons à l'heureux sort des fous. Ayant passé leur vie allègrement, sans craindre ni pressentir la mort, ils émigrent tout droit vers les Champs Élyséens, et vont y divertir par leurs facéties les ames pieuses et oisives. Comparez à présent, à cette destinée du fou, celle d'un homme sage à votre choix. Prenez un parangon de sagesse, celui qui a consumé dans l'étude des sciences son enfance et sa jeunesse, et perdu son plus bel age en veilles, soucis, labeurs sans fin, et, le reste de sa vie, s'est privé du moindre plaisir ; il fut toujours parcimonieux, gêné, morne, assombri, sévère et dur pour soi-même, assommant et insupportable pour autrui , pale, maigre, valétudinaire , chassieux usé de vieillesse, chauve avant l'age, voué à une mort prématurée. Qu'importe, au reste, qu'il meure, puisqu'il n'a jamais vécu ! Vous avez la le joli portrait du sage."
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le 8 mai 2016
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