Alors que l'auteur américain Adam Troy-Castro écume depuis quelque temps déjà les mers de la science-fiction, nos vertes contrées étaient pour l'heure restées vierges de toute édition française de ses œuvres. Enfin, jusqu'au début de 2021, quand la maison d'édition Albin Michel Imaginaire s'est attelée à faire découvrir le travail conséquent d'un des auteurs phares de la SF contemporaine américaine. Et quoi de mieux qu'en commençant avec sa célèbre trilogie Andrea Cort ?
Le premier roman contient quatre nouvelles, sélectionnées avec soin par Gilles Dumay et faisant office d’introduction au personnage, afin d'obtenir de plus amples informations sur l'univers de cette saga et le caractère bien trempé du personnage.
Émissaires des Morts est donc la première partie d'un socle imposant de space-opera mêlé au noir poisseux d’un bon polar dont Andrea Cort, jeune femme glaciale au tempérament instable, en est le protagoniste principal. L'ensemble prend pied dans un futur lointain où l'Homme a pu étendre son influence bien au-delà de son système solaire, et aller à la rencontre de multiples espèces intergalactiques. Mais le rêve d'exploration et de conciliation est vite devenu un vieux souvenir, laissant place aux travers du genre humain : esclavage, guerre, prostitution, drogue, cartels, destruction écologique... Le monde n'a pas changé, il est juste devenu plus vaste et plus peuplé.
L'enfance d'Andrea , entre culture humaine et Bochai, n'aura pas été de tout repos : du jour au lendemain, un phénomène de folie meurtrière a frappé toute sa colonie, elle comprise. Alors condamnée pour sa participation à ce mystérieux génocide, elle est récupérée pour le compte du Corps Diplomatique afin de maintenir au beau fixe les relations inter-espèces, dans un équivalent de justice.
« Équivalent », car les affaires dans lesquelles elle s’embarque finissent souvent par servir des objectifs abjects, dont Andrea n'a que bien peu de prise dessus.En pantin qu'elle est, elle n'a d'autre choix que de plier aux ordres du corps Diplomatique, et ce n'est pas prêt de changer.
La preuve en est avec sa nouvelle mission : aller sur Un Un Un, un habitat artificiel inhospitalier régi par des intelligences artificielles qui mènent des expériences sur une espèce sentiente créée par leur soin, les Bracchiens. Si les IA ont daigné laisser les humains construire un poste d'observation à proximité, les relations sont au plus vif depuis que deux meurtres côté humains ont été commis. L'enquête est ouverte, mais Andrea reçoit cependant un ordre étrange : désigner n’importe quel coupable, sauf les Intelligences Artificielles.
N’importe qui, tant que cela évite l’incident diplomatique.
Dans un savant mélange de suspens, les enquêtes de Andrea Cort nous permettent de cerner un personnage loin d’un Sherlock Holmes ou de la figure héroïque standard: irritable, misanthrope et calculatrice… Tout nous pousserait à ne pas l’apprécier. Mais l'humanité qu'elle représente au quotidien ne vaut pourtant pas mieux, et les questionnements permanents de cette enquêtrice cynique et froide nous permettront d'ailleurs de mieux comprendre les rouages de cette société aux multiples visages.
En effet, si l'humanité dépeinte par Troy Castro a su explorer et conquérir l'espace, elle reste pétrie de mauvaises intentions et cannibalisée par un capitalisme sauvage. Pire encore, la confédération homsap, censée réunir l'humanité entière en une seule voix, n'est qu'une vaine illusion masquant l'incapacité des races sentientes à se mettre d'accord sur un sujet.
L'auteur offre donc une mise en bouche conséquente, dans un univers riche en réflexions sur l'altérité, nos ambitions en tant qu’espèce sentiente et ce qui définit la notion même d’espèce.
Dépaysant de par les mondes que visite Cort, cette saga met avant tout l’accent sur les rencontres avec d’autres cultures aux antipodes de la nôtre, donnant le plus souvent du fil à retordre à notre protagoniste.
Un polar spatial divertissant, intriguant , parfois déprimant, mais surtout addictif, servi par la fine plume de l'auteur capable de dialogues introspectif savoureux comme de scènes d'action dynamiques, Emissaires des Morts témoigne d'une maîtrise absolu des codes du polar et du space-opéra pour un cocktail détonnant. Affaire à suivre avec le tome 2.