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J'ai lu cette pièce il y a quelques année et il ne m'en est resté que des noms bizarres comme Estragon, Pozzo... et quelques images d'un décor désertique ou quasi. J'ai vu cette pièce hier soir et...
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le 11 oct. 2013
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Selon moi, le sentiment d’étrangeté que l’on ressent à la lecture d’En attendant Godot provient d’un paradoxe sur lequel est construite la pièce : pièce de théâtre sur l’absence de communication, dialogue sans dialogue, l’oeuvre de Beckett semble être un texte qui tourne à vide.
En se lançant dans une pièce de théâtre, nous serions en droit de nous attendre à un texte où les dialogues s’enchaînent, où les personnages se répondent et font ainsi progresser l’action, puisque c’est par le dialogue que l’action avance normalement dans ce genre. Or, ici, il ne semble pas y avoir de dialogue à proprement parler. Chaque personnage semble se parler à lui-même, personne n’écoute l’autre, nous avons juste une suite de propos décousus et passant sans cesse du coq à l’âne.
D’ailleurs, il est intéressant de noter que la didascalie que l’on retrouve le plus dans le texte, c’est sans aucun doute celle qui fait référence au « Silence ». Ça doit être nettement plus flagrant lorsque l’on voit une représentation de la pièce, mais les propos des protagonistes sont constamment coupés par du silence. Et ce silence est peut-être, finalement, le propos le plus important de la pièce. Comme si les personnages ne parlaient que pour échapper à un silence qui les rattrape sans cesse. Un silence effrayant.
« Estragon : En attendant, essayons de converser sans nous exalter, puisque nous sommes incapables de nous taire.
Vladimir : C'est vrai, nous sommes intarissables.
E. : C'est pour ne pas penser.
V. : Nous avons des excuses.
E. : C'est pour ne pas entendre.
V. : Nous avons nos raisons.
E. : Toutes les voix mortes.
V. : ça fait un bruit d'ailes.
E. : De feuilles.
V. : De sable. »
Donc, dans un retournement impressionnant, les paroles des deux protagonistes, qui normalement sont le coeur même d’une pièce de théâtre, sont ici moins importantes que le silence. Un silence peuplé de questionnements, mais aussi, me semble-t-il, d’horreurs que les personnages souhaitent oublier.
Car le monde dans lequel se déroule la pièce est un monde terrifiant. Un monde dans lequel les personnages n’ont plus aucun repère : ni géographique, ni temporel, ni même humain. Le monde d’En attendant Godot, c’est un monde de la solitude, de l’absence de mémoire, de l’absence aussi bien du passé que de l’avenir. Les personnages perdent tout repère chronologique et sont incapables de dire non seulement ce qu’ils ont fait la veille, mais même ce qu’ils disaient la minute précédente.
Pourtant, tout laisse penser que les personnages sont les survivants d’une catastrophe passée qu’ils cherchent à enfouir. Ainsi, Pozzo semble surpris de voir encore des humains sur son parcours.
Et encore, il est parfois difficile de qualifier les personnages d’humains. Ainsi Lucky, devenu une sorte d’animal-objet, de chien savant déblatérant des discours pseudo-philosophique qu’il ne comprend sans doute pas ou effectuant quelques pas de danse sur commande.
En règle générale, tout ce qui est humain paraît avoir disparu de ce monde, y compris la rationalité. Rien n’est logique ici, du coup tout est constamment inattendu, imprévisible. Un monde incohérent, insaisissable, inaccessible à toute forme de logique humaine. Un monde finalement terrifiant lorsque l’on est habitué à un univers expliqué par des lois scientifiques.
Et Godot dans tout ça ? S’il représente un éventuel espoir d’autre chose, d’un au-delà, voire tout simplement d’une puissance qui donnerait un sens à tout cet univers, il se révèle surtout, au second acte, être celui qui empêche les deux protagonistes d’avancer : chaque fois que l’un d’entre eux veut partir, aller un ailleurs où il espère démarrer une vie digne de ce nom, l’autre lui rappelle qu’ils ne peuvent pas bouger car ils doivent attendre Godot. Godot devient ainsi non seulement le symbole, mais la cause même de ce que l’on perçoit comme un éternel recommencement, un enfermement de Vladimir et Estragon dans un monde absurde et terrifiant.
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le 6 juin 2024
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