En censurant un roman d'amour iranien par Nina in the rain
Celui-ci je l'ai choisi pour sa couv', que je trouve juste extraordinaire. Je sais, ce c'est pas très professionnel de choisir des livres en fonction de leur couverture, mais je n'ai jamais pu me défaire de cette habitude d'enfant, je regarde d'abord le contenant et ensuite le contenu. Lors de mon entretien d'entrée à l'INFL, on m'a demandé pourquoi je voulais être libraire et comme une patate j'ai répondu naïvement « parce que j'aime les livres » ce à quoi on m'a rétorqué finement « ah oui ? et vous êtes plutôt branchée reliure collée ou cousue » et là j'ai compris qu'il y avait un fossé entre moi et la librairie. Deux ans d'études ont cela dit entrepris de reboucher ce fossé, mais il y a encore quelques nids-de-poule, genre mon interrogation quant au nom à donner à la catégorie dans laquelle je vais mettre ce post. Littérature iranienne ? Perse ? Moyen-Orientale ? Proche-Orientale ? (oui non parce qu'en plus je suis nulle en géographie). Bref, tout ça pour dire que moi, j'avais surtout l'impression d'aimer la littérature, et que le support en lui-même m'importait peu. Bien sûr, un coup d'œil à mes murs couverts d'étagères ferait dire le contraire à toute personne normalement constituée. Mais je me fichais un peu de lire en Pléiade ou en livre de poche, du moment qu'il y avait toutes les pages. Bien sûr, maintenant, je préfère lire en épreuves non corrigées, mais on me souffle dans mon oreillette que c'est parce que je suis snob. Mais, quand même, les illustrations de couv'... Le Seuil parle souvent à mon cœur, la personne qui les choisit pour eux et moi sommes sur la même longueur d'ondes, que ce soit d'ailleurs pour les couvertures du Seuil ou de Points. Une illustration réussie me fera prendre le livre et le retourner pour lire la 4 de couv'. Si je le repose, et que l'illustration est VRAIMENT réussie, je le reprendrai à chaque fois que je passerai devant, jusqu'à craquer et l'acheter (et parfois l'adorer). Un bon titre ou un bon sous-titre, quant à lui, me fera mettre directement le livre sur ma pile. « La première enquête résolue par Miss Maple, la brebis la plus intelligente du troupeau, voire du village, et peut-être du monde... », « Torturez l'artiste », « Le strip-tease de la femme invisible », « Faut-il croire les mimes sur parole », autant de titres auxquels je n'ai pas résisté. Ici, j'ai quand même les deux : un titre ragoûtant et une illustration de couv'... franchement, si elle existe en poster, je la prends.
Malgré tout ça, j'ai eu du mal à entrer dans ce roman, d'abord parce que sa structure n'est pas des plus évidentes. J'ai eu l'impression d'être de retour à la fac, en amphi, quand un prof sadique nous faisait subir le Sopha de Crébillon fils (notez le « ph »). En censurant un roman d'amour iranien est fait de récits imbriqués et d'une perpétuelle mise en abyme. C'est suffisamment bien expliqué par les changements de typo pour ne pas qu'on s'y perde (chapeau d'ailleurs au maquettiste qui a su rentre ça lisible) mais tout de même, ça hachure le roman et du coup ça ne simplifie pas la plongée en apnée que j'aime d'habitude. Dans le Sopha comme dans Les Mille et une nuits, l'imbrication des récits est simple : à la cour du roi Trucmuche, quelqu'un raconte une histoire. Ici, ça se complique. Nous avons l'auteur qui raconte l'écriture de son roman, l'auteur qui raconte ses entretiens avec le censeur, l'auteur qui évoque la situation politique en Iran, le roman que l'auteur est en train d'écrire et le roman que l'auteur voudrait pouvoir écrire. Ça commence à faire beaucoup ! Et pourtant, même si c'est souvent heurté, il y a des moments où ça coule comme de l'eau de roche, paisiblement, doucement, on avale les pages une à une en voulant juste connaître la fin. Mais quelle fin ? Celle de l'histoire d'amour de Sara et Dara ? Ou celle de l'écriture du roman ? Parce que la fin de l'Histoire, celle-là, on ne l'aura pas ...
Pour ceux qui suivent, quelque part dans ces récits imbriqués, il y a le roman qui est en train d'être écrit. Sara et Dara, deux jeunes gens, tombent amoureux l'un de l'autre, et on sent peser sur leurs épaules tout le poids de la tradition, le poids des mentalités iraniennes qui ne laissent pas deux personnes s'aimer à cause de leur différence de statut. Et on n'est pas au Moyen-Âge, on est au XXIème siècle. Ça m'a fait repenser aux romans de Zorâ Pirzâd (parus chez Zulma, c'est du tout bon jetez-vous dessus) qui retracent aussi la vie quotidienne en Iran de nos jours. Sara et Dara, c'est une très belle histoire, écrite dans un style complètement bordélique mais, finalement, extrêmement attachant.
A mon sens une des grandes réussites de ce début d'année, En censurant un roman d'amour iranien risque malheureusement de passer inaperçu. Faites un geste, lisez-le ! Et dites-moi ce que vous en avez pensé !
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