Glaçant !
Chef d’œuvre : quelle claque ! Marin Ledun a ce talent du réalisme dans le récit et de la noirceur dans le scénario. Ce huis-clos est très bien réalisé, le format court fait qu'on le dévore...
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le 22 avr. 2018
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C’est un soir de 14 juillet à Begaarts-Plage, sur la côte landaise. Tandis que le feu d’artifice enchante la foule, les regards d’un homme et d’une femme se croisent. Curiosité, tension, séduction. Ils se cachent, se cherchent, se trouvent. Émilie mène la danse – et bonne danseuse, elle l’est. Malgré la prothèse qui remplace l’une de ses jambes perdue dans un terrible accident de voiture. Et parce qu’elle sait ce qu’elle fait, et qui elle séduit. Au creux de la nuit, elle l’emmène chez elle, dans un mobil-home posé au milieu d’un chenil.
Puis, après avoir achevé de faire tourner la tête de son invité, elle sort un flingue de sous son oreiller, et elle tire. Genou en miettes, Simon Diez comprend que ce n’est que le début de ses ennuis. Car Émilie ne l’a pas choisi au hasard. Et elle est très, très en colère…
En anglais, « to beg » signifie supplier, mendier. Beg, Begaarts : le parallèle était trop tentant pour ne pas que je l’évoque (d’autant que la petite ville de Begaarts n’existe que dans l’imagination de Marin Ledun, et désormais de ses lecteurs). Parce qu’Émilie aurait toutes les raisons de supplier – pour un peu d’attention, de soutien, de considération, d’amour. Et qu’elle ne le fait pas. La voir démarrer sa vengeance à Begaarts ne manque alors pas d’ironie…
Émilie est une pure héroïne ledunienne. Une femme fracassée mais forte, qui se tient debout au milieu des bourrasques et trace son chemin en dépit de tous les obstacles, volontaires ou non, qui se dressent devant elle. Elle ressemble à Carole Matthieu, la médecin du travail des Visages écrasés. Ou à Laure Dahan, la cyber-maman de Marketing viral et Dans le ventre des mères. Des femmes bousculées, abîmées, tourmentées, malmenées (beaucoup par les hommes, mais tout autant par la société et son fonctionnement naturellement inique), mais des femmes qui ne cèdent jamais. Des combattantes acharnées qui refusent d’être des victimes sociales, alors que tout les désigne ainsi.
Le parcours furieux et désespéré d’Émilie invoque en finesse ce fameux cadre social sans lequel un roman de Marin Ledun ne serait ni complet, ni brillant. Il raconte ici comment un fait divers, un accident presque banal (même s’il est violent), devient le premier engrenage d’un déclassement inéluctable, qui fait d’un être humain à qui tout souriait un moins que rien, un rebut de la société. Un individu qui, parce qu’il n’est plus entier, est jugée indigne de tenir sa place parmi les autres alors même qu’il en est parfaitement capable, au terme d’une descente aux enfers d’autant plus longue qu’elle est foncièrement injuste.
Tout fait cruellement sens sous la plume de Marin Ledun, plus acérée et précise que jamais ; son style s’est d’ailleurs dépouillé pour viser droit au but et faire vibrer la corde sensible des mots les plus justes, qui sont aussi les plus douloureux. Voyez l’atmosphère anxiogène qui sert de cadre principal au roman, ce chenil écrasé par la chaleur de l’été, résonnant des aboiements assourdissants des chiens enfermés, empuanti des odeurs de fauve et d’excréments.
C’est dans cette boue qu’a été rejetée Émilie, là qu’elle a fomenté sa révolte, de là enfin qu’elle décide de rejaillir. Ce décor effarant est parfaitement approprié. On voudrait sans cesse le fuir mais on y reste cloîtré, à la limite d’y étouffer, comme Émilie qui n’a plus que cela pour survivre, comme ces chiens oubliés, comme Simon devenu son prisonnier.
Quel roman, encore une fois ! Et quelle belle surprise aussi, de voir Marin emprunter cette direction inattendue, démarrant comme dans un pur thriller, jouant ensuite la carte d’un huis clos terrifiant aux faux airs d’un Misery des laissés pour compte, pour mieux ignorer ces codes et suivre sa propre route, trouble et indécise jusqu’au bout.
En douce prouve une nouvelle fois l’immense talent de son auteur, littérairement capable de tout – et surtout d’imposer sa voix, son regard sans concession, une manière bien à lui de conduire son récit. Ignorant les artifices, il se contente de peu pour en dire le plus possible. Et ce n’est pas le moindre de ses talents.
Une bonne claque à ne pas esquiver – parce que, parfois, finir au sol est le meilleur moyen de finir vainqueur.
Créée
le 22 mars 2023
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