« Le 3 octobre, à cinq heures, un homme, dont le nom ne vous dira rien (lui-même ne vous en dirait guère plus), sort de son appartement, referme doucement la porte derrière lui, descend les escaliers, sort de l’immeuble, marque un temps d’arrêt, un dernier temps d’arrêt, à moins que ce ne soit le premier, traverse la rue, et voilà, c’est la dernière fois que Jean Nochez (appelons-le Jean Nochez) franchit le seuil de chez lui, ça y est, c’est décidé, ça a mûri et maintenant c’est décidé, encore que, décidé, le mot est fort, il sort, pour la dernière fois du moins avant longtemps, il ne sait pas encore combien de temps exactement, moi non plus, ni vous, on va bien voir.
En tout cas c’est Solange qui va en faire, une tête. »
Ainsi commence "En Face". Une anecdote banale : un homme sort de chez lui et décide de ne pas y retourner, tournant le dos à sa vie (pour s’installer littéralement en miroir dans l’immeuble d’en face). Un narrateur vaguement identifié, compagnon de beuverie de Jean Nochez au café des Indociles Heureux, nous raconte son histoire (ou du moins le tente-t-il). La trame est ténue, et ne suffit pas à rendre justice au premier roman de Pierre Demarty (par ailleurs traducteur et éditeur).
Ce qui fait la saveur de « En face », c’est la langue. C’est enlevé, joyeux, truffé de références, de jeux de sens et de langage, et empreint d’une ironie parfaitement maîtrisé.
Pour autant, je ne suis pas habituellement fan de ce genre d’exercices de style. Mais ici l’exercice n’est pas vain. Demarty réussit à nous faire réfléchir à nos quotidiens sclérosés, à dresser des portraits de personnages émouvants dans leur médiocrité. Au final, le roman est tour à tour drôle, émouvant, prenant.
Une des vraies bonnes surprises de cette rentrée littéraire 2014.
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