En panne sèche
Andreas ESCHBACH.
L'Atalante.
Voici ouvrage de S-F atypique, ambitionnant un mélange de thriller politico-économique, de roman d'anticipation (dans le sens ou l'auteur aborde un thème montrant les conséquences psychologiques, sociales et économiques d'un changement majeur), de scénario catastrophe et de vraie réflexion sur les modes de pensées et de fonctionnements de nos sociétés modernes, et sur leurs faiblesses.
Andreas ESCHBACH, est un auteur allemand ayant reçu de nombreux prix dans son pays, cet ouvrage a par ailleurs reçu celui du meilleur roman de science-fiction allemand en 2008.
En panne sèche comme son titre le sous-entend, traite d'un élément hautement important, pour ne pas dire vital au fonctionnement de nos sociétés, charnière même de notre mode de vie, le pétrole.
Ce livre volumineux, ne servira pas qu'à caler une belle armoire normande, non, ces quelques 800 pages ne sont en effet pas de trop pour traiter d'un sujet brûlant, abordé ici au travers d'une histoire certes fictive mais qui pourrait insidieusement ne s'avérer que trop réelle : la pénurie de notre ressource première, et l'effondrement de nos sociétés, de nos cultures qui en résulterait.
L'histoire s'ouvre sur une formule toute faite : « même la dernière goutte d'essence permet encore d'accélérer » parfait résumé du livre et de son sens profond.
On aurait pu aussi bien lire « Après moi le déluge », ou « Jusqu'ici tout va bien ».
Puis survient l'accident de voiture.
Énergique mise en bouche qui va nous permettre de faire connaissance avec le protagoniste central : Markus Westermann, ingénieur commercial allemand, homme débrouillard et intelligent, qui ambitionne de devenir quelqu'un (sous entendu quelqu'un de riche, et de reconnu pour et par sa réussite).
Les États-Unis sont à ses yeux le seul endroit ou il pourrait devenir ce Self Made Man rapidement, le rêve américain en quelque sorte. Pour ce faire il compte sur une méthode révolutionnaire de prospection du pétrole, très contestée mais qui, aux yeux de son associé et inventeur Karl Walter Block, est infaillible. Ce dernier, vieil autrichien paranoïaque et néanmoins au charisme et à la verve impressionnant, est technicien de forage. Reste à théoriser, et mettre en forme cette méthode. L'intrigue nous révèlera que ce n'est pas une mince affaire, et que nos ingénieux amis seront confrontés à maints jalousies et ennuis.
Cette première moitié de l'histoire est une découverte. Présentation des personnages avec une richesse offrant une grande profondeur et un attachement immédiat pour ces hommes et femmes.
Mais aussi prise de conscience des thèmes qui vont être abordés avec un sens impressionnant de la vulgarisation et une belle langue.
Tout s'enchaîne très vite à partir du milieu, avec pour étincelle, si je puis dire, l'incendie d'un port et l'effondrement du plus grand champ pétrolifère du monde en Arabie Saoudite, l'alliée des Etats-Unis, principal producteur de pétrole et principale réserve mondial. Lorsqu'en plus des rumeurs d'assèchement des puits de pétrole se répandent, l'escalade à la panique commence et l'édifice économique mondial branle sur ses fondations.
De désillusions personnelles pour Mark (amour, réussite, amitié, expériences incongrues) en prise de conscience de la fragilité de notre système, un colosse au pied d'argile, au travers des autres acteurs de l'histoire, cette seconde moitié regorge d'une grande richesse d'informations, et peut se vanter d'opérer chez le lecteur une multitude de questionnements passionnants, et peut-être au final d'une certaine prise de conscience, lucide voir d'utilité publique.
Andreas ESCHBACH donne froid dans le dos, passionnant des premières lignes aux tous derniers mots, il réussit à rendre une palette de personnages attachants, acteurs de ce qui pourraient être l'un des plus grand bouleversement que l'humanité moderne puisse connaître (et pas qu'un peu...) avec une vraisemblance, un luxe de détails, plutôt déstabilisant.
Si la seule chose à laquelle il faut s'habituer au cours de la lecture c'est l'alternance entre trois type de récits, un au présent, un au passé récent, et un au passé lointain, ceci ne constitue en aucune mesure un défaut, et contribue au final à rendre l'intrigue apte à jongler entre Histoire (avec un grand H), géopolitique, perspective de l'avenir, cynismes des classes dirigeantes (tant politique que économique) mentalités et aveuglement des masses, pour nous offrir un roman marquant.
On referme ce livre en souhaitant fort, très fort, qu'il ne soit pas prophétique, qu'il reste de l'espoir pour l'homme, et que nous sommes déjà sur la bonne voie pour trouver des alternatives au tout pétrole, juste histoire de ne pas revenir à l'âge de pierre et offrir autre chose aux générations à venir.
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