En salle, un titre aux allures d'art et de fête mais qui recouvre une réalité tout autre : celle d'un destin prolétaire dans un capitalisme délétère. Un premier roman presque autobiographique dans lequel l'auteure nous livre ses souvenirs d'enfance et son expérience en « fastfood » sous la forme de récits alternés se répondant, parfois s'opposant. Une forme qui pose la question de la transcription des souvenirs et de leur fidélité à la réalité par son caractère morcelé, la brièveté des souvenirs évoqués et surtout par le choix de Claire Baglin de rapporter son histoire à la troisième personne du singulier. En effet, si l’auteure assume relater sa jeunesse, elle rejette la qualification d’autobiographie par peur que sa mémoire ne lui fasse défaut. Ainsi, il s’agit bien de retranscrire son enfance mais au travers des souvenirs qui lui en reste du haut de ses vingt-quatre ans et de sensations enfantines.
Son ambition réaliste se poursuit dans le rythme assez lent du roman, qui lui serait toutefois reprochable s'il ne s’inscrivait pas dans son entreprise de remémoration et de retranscription de souvenirs d'enfance. En effet, quel lecteur a déjà apprécié un roman qu'il a jugé interminable ?
Certains bibliophiles ajouteraient sûrement que l'alternance entre les souvenirs d'enfance de la narratrice et son expérience en fastfood se fait trop rapidement pour que le lecteur ait le temps de voir des images plutôt que des lettres et des lignes. Or, pourquoi lit-on si ce n'est pour s'évader de notre réalité ?
En ce sens, on peut reprocher à Claire Baglin le sujet même de son livre. En effet, l'auteure décrit une expérience vécue par bon nombre de gens : le job étudiant fastidieux, aliénant. Dès lors, on peut se demander l'intérêt d'un tel sujet puisque familier à beaucoup de lecteurs.
Par contre, Claire Baglin a le mérite indiscutable d'être parvenue à faire entrer le fruit par excellence de l'américanisation du monde dans la littérature française : le fastfood lui-même !
Plus sérieusement, on lui doit de rappeler la littérature à sa mission la plus noble: celle de défendre une cause avec originalité et sensibilité. Pourtant, c'était loin d'être chose acquise pour notre auteure dont la verve s'attaque à ce système si férocement et abondement débattu qu'est le capitalisme auquel elle vient, en plus, opposer son traditionnel homologue le socialisme, avec un récit minimaliste. En effet, Claire Baglin n'offre guère d'autres horizons à ses personnages que les murs d'un fastfood et d'une usine, les barrières d'un camping médiocre et le désordre d'un appartement. Et c’est dans ce minimalisme que l'on trouve ce sujet bien plus vaste que celui du simple job étudiant : celui d'une classe sociale entière aux moyens limitées ; celle d'un prolétariat pour lequel le travail n'a jamais de sens ; demeure toujours vide, aliénant.
Cependant, l'originalité de sa critique ne réside certainement pas dans la description d'une famille de classe moyenne mais dans la manière de l'aborder : par alternance entre le récit d'« une enfance marquée par la figure d'un père ouvrier » et celui des vingt ans de la narratrice dans un fastfood, « où elle rencontre la répétition des gestes, le corps mis à l'épreuve, le vide, l'aliénation » et le tout avec lenteur. En effet, si le rythme du roman est susceptible de nous tirer quelques bâillements, c'est en même temps à celui-ci que la critique de Claire Baglin doit son originalité.
Finalement, comme l'écrit Sartre, « On n'est pas écrivain pour avoir choisi de dire certaines choses mais pour avoir choisi de les dire d'une certaine façon ». Pour autant, il ne faut pas perdre de vue qu'un livre a vocation à être partagé avec un public, qui peut certes, plus que simplement vouloir s'évader, tenir en l’occurrence à soutenir l'auteure dans sa dénonciation du système mais qui ne tient sûrement pas à somnoler.