Entre orientalisme et perspicacité

En Syrie est un récit de voyage journalistique représentatif de cette époque où les reporters étaient à la fois aventuriers et écrivains. En cela, Kessel est taillé du même bois que Saint Exupéry ou Hemingway. Il nous livre un reportage vivant et documenté, s'intéressant avant tout aux hommes plutôt qu'à la politique.

Ces quelques dizaines de pages ont été rédigées pendant la période de la grande révolte syrienne de 1925–1927, où Kessel rencontre les émirs et les princes locaux, mais surtout des militaires français occupés à mater la révolte des Druzes. À l'exception d'un résumé de la situation politique économique de la Syrie dans les quelques premières pages, l'auteur se contentera par la suite de relayer ses rencontres avec quelques personnages hauts en couleur ou les diverses anecdotes qu'on a pu lui conter. Plutôt qu'une vision globale de la situation politique de la région, qu'il reconnaît être très confuse en cette période, il préfère se focaliser sur "le pittoresque et l'héroïque" (pour reprendre ses propres mots). Sa plume s'emballe alors, perdant parfois de son objectivité journalistique. L'amour de Kessel pour l'Orient et les récits épiques transpire à travers sa plume. D'une crédibilité parfois douteuse, ces aventures n'en demeurent pas moins réjouissantes.

Kessel a la modestie et l'intelligence de reconnaître que la situation de la Syrie est trop complexe pour être résumée en quelques dizaines de pages par un reporteur qui n'y a pas vécu suffisamment longtemps. "Car nul pays n'est plus complexe, plus difficile, plus révolté par nature que la Syrie" admet-il avec lucidité.

Il serait vain et présomptueux d'espérer éclairer le conflit syrien contemporain au regard de ce bref opuscule. Toutefois, en observant à la loupe ces quelques destins d'hommes ayant pris part à cette page de l'histoire syrienne (la révolte de 1925-1927), on goûte un peu plus la complexité de ce pays, à l'intrication de ces religions que tant de chose opposent, mais aussi à la richesse et au raffinement culturel de ces peuples. Et l'on constate avec dépit, qu'à l'époque déjà, les puissances européennes ont tenté d'influer sur le destin de la Syrie, sans jamais prendre la peine de vraiment découvrir et comprendre le fonctionnement de ce pays à la culture si fondamentalement différente de la nôtre.