Lu en Juillet 2021. Ed.Gallimard. Trad. André Bellesort. 6,5/10
Après avoir lu L’Iliade et l’Odyssée, je voulais « terminer » mon cycle d’épopées fondatrices avec l’Enéide de Virgile.
J’ai abordé ce texte dans la traduction de Pierre Klossowski et bien m’en a pris de changer car je n’aurais simplement pas pu terminer le bouquin. Cette destructuration du français pour respecter la lettre latine est porteuse d’une poésie particulière et de la volonté de coller à l’original, mais ça me semble juste illisible quand on ne connaît pas par cœur l’histoire. A ce compte là, autant lire directement l’œuvre en latin.
Je me suis donc rabattu sur la traduction d’André Bellesort qui a permis à ma liseuse de se rendre utile.
La première partie du livre est consacrée à l’Odyssée d’Énée. Il nous est compté l’histoire du cheval de Troie en détail puis du sac de la ville, l’assassinat de Priam par Néoptolème, la dérive des Troyens sur les mers, puis les amours de Didon et d’Enée et enfin la descente d’Enée aux enfers (catabase) pour voir son père Anchise.
Cette première partie du livre se lit très bien, et chaque chant est porteur d’un évènement qui présente un réel intérêt scénaristique pour la narration, ce qui rend la lecture bien plus agréable.
Plusieurs passages sont d’ailleurs marquant. En particulier, la violence de Pyrhhus/Néoptolème le fils d’Achille au (chant II) est vraiment mise en valeur, c’est tragique, c’est héroique, c’est épique.
Mais mon passage préféré est certainement celui de la mort de Didon (chant IV) qui évoque parfaitement le tragique qu’écrira Racine 1600 ans plus tard.
Globalement, l'accent mis sur les personnages importants, l'emphase, me parle bien plus que dans les homologues grecs. Ça semble plus écrit, et c'est le cas ! Malgré un contexte historique qui ne m’est toujours pas très familier, l'aventure est bien plus prenante, mieux rythmée, plus agréable. En fait, j’ai trouvé le début de l’Eneide résolument plus moderne que ses prédécesseurs grecs. Mais cette préférence et ce ressenti va certainement de pair avec une traduction très adaptée au français et aussi probablement à force d’habitude d’être plongé dans cet univers.
Autre exemple de référence directe à l’Iliade qui me semble plus pertinente ici, les jeux funéraires du chant V. Ça intervient à un moment du livre où on n’est pas à bout de souffle et puis surtout le récit de initial de la course de bateaux est très drôle. Gias qui balance son pilote par dessus bord c’est porteur d’un véritable comique de geste.
Le chant VI est une très belle hypotypose qui nous fait apparaître un ensemble des habitants et des lieux de vie dans le monde des morts, du Tartare aux Champs-Elysées.
Mais voilà il ne s’agit que de la première moitié du livre, la deuxième qui nous narre le récit des batailles dans le Latium est bien plus laborieuse.
En exemple parfait de l’ennui, le Chant X où j’ai retrouvé les passages soporifiques de l’Iliade, des récits de bataille où je ne sais pas qui parle et où plein de noms superposés qui ne me sont pas familiers s’égorgent et se chevauchent. C'est pas très agréable ni très récompensant comme lecture. Virgile s’est en effet permis le plaisir (lui pas nous) d’écrire un catalogue des armées ainsi que des vaisseaux pour bien rendre hommage à Homère dans toute sa lourdeur.
L’autre référence flagrante est celle de la conception du bouclier d’Énée par Vulcain, très beau paysage, et tout de même quel artiste ce Dieu des forgerons pour raconter autant de choses sur un petit bouclier !
Enfin bref, cette deuxième partie est moins intéressante mais reste lisible quand on s’accroche, il y a des beaux passages et surtout on suit le héros Énée qui m’est bien moins antipathique qu’Achille et Ulysse, quoiqu’il finisse par tuer tout le monde à la fin (Virgile pratique le même goût pour le gore que Homère) mais c’est un peu contre son gré.
Une lecture de l’Eneide qu’il ne faut pas manquer c’est évidemment la propagande assumée pour Auguste, qui est rendu descendant de Iule, le fils d’Énée. Dès la page 11, Jupiter nous conte toute la grandeur de la nation romaine et c’est assez comique tant c’est gros et caricatural dans le culte de la personnalité mais c’est loin de gêner la lecture, au contraire, l’Eneide est une commande d’Auguste donc peut-être n’existerait t-elle pas sans la propagande.
En fin de compte, L'éneide me fait l'effet d'une version améliorée de l'Iliade et de l'Odyssée, reprenant un peu des deux et en les condensant, avec un héros plus héroïque, meilleur, que Achille et Ulysse. Ça reste assez difficile d'accès à lire en entier à cause de la deuxième moitié, mais il y a des beaux passages qui ont beaucoup inspirés et des bases de narration intéressantes pour le roman moderne.
« Je n’assigne de borne ni à leur puissance ni à leur durée : je leur
ai donné un empire sans fin […] les Romains maîtres du monde. Telle
est ma volonté » (Jupiter, p12, Chant I)
« Ainsi lorsqu’un aigle fauve, qui vole haut emporte un serpent qu’il
a saisi, engagé dans ses serrres, accroché de ses griffes : le serpent
blessé roule ses anneaux tortueux, se dresse en hérissant ses écailles
et en sifflant, la tête altière et menacante ; mais en vain ; bien
qu’il résiste, l’oiseau le déchire de son bec recourbé, et en même
temps frappe l’air de ses ailes. De même Tarchin triomphant emporte la
proie qu’il a ravie à l’armée des Tiburtins. » (p287, Chant XI)