Tuer le père


La parole du père est omniprésente, et empiète sur celle du narrateur, en tout cas au début, jusqu’à ce que le rapport de force change. D’ailleurs, à ce sujet, le discours indirect libre souligne encore plus ce surgissement du père : même quand la narration revient à la normale, il trouve le moyen de s’immiscer.
Ce père aux idées détestables, le pire, c’est que je ne l’ai pas détesté. C’est vraiment étrange, parce que je ne pense pas que l’auteur veut nous le rendre agréable, il veut même plutôt l’inverse, (le mec se délecte quand même des sorties de Klaus Barbie à son procès), et pourtant, son côté pathétique me l’a rendu humain. Assez grotesque. Enfin, disons que sa propension à emmerder son monde me rappelle l’attitude d’un petit vieux raciste, et par conséquent, on ressent un peu de malaise, parce que le livre n’est pas une comédie. Ce que je peux regretter, c’est qu’il y a parfois une inadéquation entre le ressenti de l’auteur/narrateur, et du lecteur : le sentiment de trahison qu’il éprouve envers son père m’a paru lointain, la haine aussi, par conséquent, je me demande si c’est toujours bien traité. En fait, on ressent les choses quand les « témoins » du procès racontent ce qu’ils ont vécu, la torture, l’humiliation. Et pourtant… Je ne fais pas toujours le lien avec le relation avec son père. Je ressens le ressentiment, la haine de l’auteur, sans avoir le lien, la clé, comme s’il manquait quelque chose. Comme si le traitement de leur relation était parcellaire. Et on ne nous décrit pas les conséquences de ses actes. Donc on a juste l’impression que c’est un jeune mythomane de 22 ans au moment des faits. Pas au même niveau que les tortures et les déportations de K.Barbie. Et c’est sûr que les comparaisons avec les vrais résistants sont forcément peu flatteuses. C’est ce qu’il dit d’ailleurs, vers la fin, quand il explique qu’il aurait pu pardonner si son père lui avait avoué. Bref, le jugement moral est trop prononcé, et personnellement, je préfère me faire ma propre idée, je n’aime pas trop quand on me surligne ce que je dois penser.


Histoire et histoire(s)


Le sujet, l’Histoire et l’intime qui se mélangent est prometteur, et j’ai lu le premier tiers avec un grand intérêt. « Je venais de faire entrer le procès de mon père dans la salle d’audience qui jugeait Klaus Barbie. La petite histoire et la grande rassemblées. » Malheureusement, mon enthousiasme s’est affadi. L’un des problèmes du livre, c’est que la forme, assez circulaire, s’enlise au bout d’un moment. La construction : découverte sur le père/procès de Klaus Barbie/discussion avec le père, qui se répète à l’envi devient lassante. Les passages des recherches sur le père m’ont paru très longues, et laborieuses. Et comme j’ai dit plus tôt, j’ai l’impression que les nœuds des histoires (nationale et intime) s’emmêlent, que la première sert de moyen à délayer la deuxième qui bégaie trop à mon goût. Les deux ne collent pas aussi bien que ce que l’auteur semble vouloir nous dire. A la fin, le bruit, l’épique (ou du moins, ce qu’on est censés ressentir) et pourtant, pour moi, plutôt, l’inachevé. Dans la même idée, les scènes de confrontation finales avec le père sont très répétitives, et manquent de force. Autre point négatif : le personnage du narrateur/auteur n’est pas assez approfondi. Il est le fils et le journaliste, la caméra dans l’histoire. Mais rien d’autre. Et ça aurait pu être une bonne idée de le développer pour qu’on éprouve plus d’empathie pour lui. Autre remarque : le roman souffre du White room syndrome. ( Il n’y a pas de décors, pas d’ambiance, on a l’impression que les personnages interagissent dans une pièce vide). Et dernière pour la route, des répétitions lexicales, comme le verbe « se masser » par exemple. Résultat : à part lors du procès, j’ai trouvé le livre emphatique au lieu d’émouvant et je l’ai laissé trainé un certain temps avant de me décider à le terminer.

YasminaBehagle
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le 26 sept. 2021

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