Les Grands Anciens ont franchis la barrière des mondes. Désormais, les Puissances se sont installées dans notre dimension et étendent leur pouvoir sur toutes les planètes possibles. Pour lutter, les hommes ont banni toute forme de la science impie qui a ouvert une brèche entre les mondes, et c'est désormais l'Eglise, guidée par le Saint Cathéchisme, qui mène la guerre sans merci contre les ennemis de l'humanité. Le seul moyen pour les diacres combattants de ne pas devenir fous au contact des Puissances, c’est de dissoudre leur soi dans une grande conscience collective dirigée par un chantre éloigné du combat.
Nous commençons donc le roman par la cérémonie qui forme le mascaret, le collectif guerrier, qui précède l'envoie d'une légion au front. Seulement voilà, quelque chose déraille. Wangen, Alania, Maurc et leurs compagnons d'armes reprennent leurs esprits sur une planète marécageuse, forcés de faire face à la Puissance à la seule force de leurs esprits. Et surtout ils devront comprendre quelle est cette force qui a permis de dissoudre le mascaret. Dans le même temps, Lothe, responsable des légions piégées dans les marécages, se voit chargé d’enquêter sur les raison de ce désastre. Pour ce faire, il est investi d’une double charge : inquisiteur, il a tout pouvoir pour enquêter où bon lui semble ; relaps, il est considéré comme un paria aux yeux de l’Eglise, mais parallèlement autorisé à se plonger dans les livres maudits de l’ancienne science sacrilège…
Pour son premier roman, Alex Nikolavitch (par ailleurs traducteur et scénariste de BD) mélange space opéra et inspirations lovecraftiennes. Une alliance qui fonctionne bien, d’autant plus que la présence des Puissances dans cette galaxie est bien expliquée. En revanche, les lecteurs avides de frisson et d’horreur cosmique risquent d’être déçus, effrayer le lecteur n’est pas franchement le propos du livre. A travers des personnages embarqués dans des combats dont ils comprennent plus ou moins bien les enjeux, Eschatôn nous fait surtout réfléchir au poids de la religion, au rapport de chacun avec sa foi, à la manière de réagir face à des situations extrêmes. Dans l’univers d’Eschatôn, la religion est tout puissante. Le Saint-Cathéchisme s’est imposée comme la seule arme de combat contre les Puissances, l’hérésie (i-e la science sous toutes ses formes, même les plus basiques) est impitoyablement punie. Dès lors, chacun dans la grande galerie des personnages proposés ici réagit différemment : de ceux qui suivent aveuglément les préceptes de l’Église à ceux qui les remettent en cause, en passant par celui qui tente de retrouver l’esprit des pères fondateurs. Si certains personnages peuvent sembler caricaturaux dans leur engagement, l’ensemble ne l’est pas, et une des forces de ce roman, c’est son absence de manichéisme. Bien difficile au final de distinguer les « bons » des « méchants », on a surtout l’impression de voir des personnages se débattre avec leurs doutes, agir en fonction de leurs certitudes pour tenter de combattre les Puissances, quitte à en payer des conséquences lourdes.
Un autre point fort de ce roman, ce sont ses très belles pages d’ambiance. La première scène après le prologue, qui voit la formation du collectif de combattants, en est un bel exemple, et on est vite happé dans cette ambiance lourde faite de vapeurs d’encens, de chant hypnotiques et de cathédrale de pierre. La deuxième partie du roman, qui délaisse les combats pour se centrer sur les personnages et les enjeux de l’histoire, est à ce titre particulièrement réussie. Alex Nikolavitch nous dresse des portraits complexes et émaille tout ça de nombreuses réflexions particulièrement pertinentes (je pense notamment à un chouette passage sur la nécessité de se laisser porter par la vie qui m’a pas mal trotté dans la tête).
Enfin, et sans spoiler, je trouve la fin particulièrement réussie. A la fois surprenante et terriblement logique, déstabilisante, elle aussi laisse le lecteur sur des questions qui le poursuivent après la lecture.
Une belle réussite donc que ce premier roman. Bien sûr, tout n’est pas parfait, certains passages fonctionnent mieux que d’autre (personnellement, j’ai trouvé le début dans la jungle un peu long), et il y a des personnages auxquels on s’attache moins facilement. Côté écriture, c’est fluide, mais il faut s’accrocher un peu au début si on ne maîtrise pas le vocabulaire médiéval (car l’auteur, lui, en connaît un rayon). Mais on se familiarise vite avec les termes inconnus, et la lecture reste agréable. Et surtout c’est un roman qui réussit le double pari d’être un bon roman d’aventure, prenant, tout en servant un propos et une réflexion approfondis. Ce qui n’est pas si fréquent.