Alors ça y est...voilà, en lecteur assidu de Schopenhauer j'ai fini par me décider à lire le fameux "Essai sur les femmes" qui m'a toujours apparu comme un texte injustement connu car très mineur et totalement fallacieux sur un plan strictement philosophique. Et surprise...j'ai trouvé des qualités à ce texte même si comparé au reste des Parerga et Paralipomena ce n'est pas de la "vraie" philosophie évidemment!
Tout d'abord, on pourra dire ce qu'on veut mais misogyne ou pas cet homme écrivait extraordinairement bien, le style à lui seul est un vrai régal et il n'existe pas de plus belle plume que la sienne de toute l'histoire de la philosophie à mon goût (il est selon moi juste devant Pascal, Nietzsche, et Montaigne). Ensuite, au-delà de cette qualité strictement littéraire il m'est apparu que ce texte devait être pris avec un certain recul : qu'on soit clair, je ne cautionne évidemment pas les inepties selon lesquelles la femme conserverait la "maturité" de ses 18 ans toute sa vie, ni que leur génie soit inexistant comparé à celui des hommes en moyenne...mais le fait est que les propos de Schopenhauer désignent UN certain type de femme et non TOUTES les femmes en un sens universel (même si certaines assertions généralistes peuvent amener à le penser).
En effet, il faut voir, à mon avis, ce texte comme une quasi-autobiographie et le développement d'un fort ressentiment de l'auteur envers sa mère qui symbolisait ce que Schopenhauer nomme dans ce texte la "Dame" idolâtrée en Europe à cette époque : la fausse savante imbue d'elle-même, superficielle, bourgeoise, vénale, et hautaine. La femme est décrite à travers l'image de la mère qui sert de prisme à Schopenhauer, et il distingue clairement cette femme des autres femmes de l'époque : celles des classes pauvres, industrieuses et humbles qu'il considère avec compassion. Les horreurs que Schopenhauer semble adresser à la gente féminine sont par ailleurs ponctuées par des qualités adressées à ces mêmes femmes : la pitié (qualité essentielle à la morale dans son système), et l'intelligence....on peut trouver ça curieux d'ailleurs que Schopenhauer soit autant à côté de la plaque tant par certaines exagérations concernant les défauts des femmes que lorsqu'il daigne leur accorder des qualités innées (scientifiquement la femme ne donne pas la "pitié" ou l'empathie à son enfant...quant-au fait qu'elles seraient plus intelligentes, quoi que moins mâtures, que les hommes l'idée me fait bien marrer personnellement!).
Bref, ce texte me conforte dans l'idée qu'il faut vraiment séparer le philosophe dont la pensée est d'une justesse et d'une profondeur extraordinaire et l'homme dont les opinions étaient parfois très partiales et douteuses. Lisez donc les textes où ce dernier parle d'art, de musique, du dépassement du criticisme kantien par la connaissance du corps, du rôle que joue le cerveau dans les mécanismes inconscients de la volonté, de son analyse de la genèse psychiatrique de la folie, de la fétichisation de la technique liée au système d'exploitation originel d'une classe dominante à travers les âges...et osez me dire qu'il mérite d'être réduit à un foutu pessimisme et à quelques malheureux propos misogynes!
De toute façon, comme je l'ai expliqué plus haut malgré quelques généralisations malheureuses (dont certaines rares tombent malgré tout juste sans que cela soit nécessairement "méchant") ce texte n'est pas si "horrible" qu'il en a la réputation...il faut bien comprendre de qui parle Schopenhauer précisément et re-contextualiser le texte en question. On pourra toujours tenter de défendre ce texte en prétextant qu'il possède une valeur psychanalytique sur le fond bien que la forme se veuille maladroitement "scientifique" ou "sociologique" sans en avoir ni la rigueur ni l'exactitude (le pauvre homme a, décidément, bien souffert...). De toute façon je suis sûr que tous ceux qui me liront savent qu'il s'agit d'un immense philosophe et ont déjà dû lire quasiment tout le Monde comme volonté et comme représentation n'est-ce pas?