Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Incontournable Avril 2022
"Et derrière nous, le silence", c'est un roman coup de poing, ni plus ni moins. le genre clairement pas conçu pour être une balade de santé, mais plutôt un outil d'éveil de conscience. Ça n'a donc rien de joyeux, peu s'en faut, mais ça ne veut pas dire que ce genre de roman soit moins pertinent, au contraire! Ils sont très pertinents, c'est même leur grande qualité. Les livres sont de parfaits médiums pour aborder les tabous de la société et offrir des pistes de compréhension. Je peux vous affirmer que ce genre de lecture ne laisse pas indifférent et ne laisse aucuns lecteurs indemnes.
Roman chorale sur trois fronts, nous suivons donc trois ados, avec chacun leur enjeu relationnel toxique et violent.
Pour Éllie, dont la mère est atteinte de la sclérose en plaque, être une ado ordinaire n'est pratiquement pas possible. Entre les soins, les crises, les inquiétudes et la routine articulée autours de la malade, Ellie trouve donc un certain échappatoire en la personne de Lola, sa cousine, extravertie, pimpante, bavarde, carte-de-mode et drôle, avec qui elle fait des "trucs d'ado". Néanmoins, Lola s'emploie a utiliser sa cousine pour avoir des objets neufs et de l'attention malsaine, utilisant abondamment le chantage émotif, la manipulation, le "gaslighting" (ou "détournement cognitif")**, la communication passive-agressive et même des larmes de crocodiles. Une vraie actrice. Une personne profondément égocentrique et toxique, qui va mener Éllie vers un trouble alimentaire, un rejet social et même de l'intimidation. Pour avoir de l'attention et construire leur estime, certaines personnes comme Lola sont prêtes à tout, incluant démolir une tierce personne pour se hisser plus haut. Éllie cherchait son approbation au début, mais vers la fin, elle ne sait pas comment fuir l'emprise de Lola sur elle.Un cauchemar qui est d'autant plus difficile à vivre que son état est banalisé par ses propres parents.
Jeff, pour sa part, est également une victime d'un manipulateur, mais de manière collatérale, et d'un manipulateur du genre "prédateur". Stefan a des allures psychopathes, avec son côté "parfait petit prodige serviable et aimable" contre son côté totalement dénué d'empathie, de compassion et d'estime pour les autres humains. Pour Stefan, semble-t-il, il n'y a pas d'humain qu'il ne saurait soumettre, surtout quand il décide de baiser une fille. Son désir devient littéralement une obsession et tout les moyens sont bons pour humilier, violenter et maltraiter sa proie. C'est ce qui est arrivé à Lou, jeune femme qui a connu une fin malheureuse, précisément parce qu'elle refusait ses avances. Stefan a dès lors tout fait pour lui mettre la pression, dont des agressions sexuelles de diverses formes ( attouchements surtout), avec l'appuie de son entourage, aveuglé par son charme et englué dans la masculinité toxique. Jeff aimait Lou. Sa disparition le ronge par en-dedans et le pousse vers la vengeance. Cela-dit, alors qu'il accompagne son frère et d'autres futurs experts en expédition en montagne, Jeff se demande s'il parviendra a réaliser son projet. Surtout que son attitude est suspecte et qu'une certaine personne semble l'avoir à l'oeil.
Yüna, enfin, voit sa famille éclater en raison de son père violent. Après le divorce, ce dernier n'accepte pas cette situation et rend sa conjointe responsable de son malheur. Il kidnappe son aînée à la sortie de l'école et la cloître dans un lieu inconnu, dans une réplique conforme de sa chambre. S'il débute avec une opération charme avec des cadeaux, sa nature violente et contrôlante prend le pas peu à peu. Il impose sa vision des choses, se déresponsabilise et pratique du chantage émotif. La violence n'est pas que physique, elle est verbale et psychologique. Parviendra-t-elle à fuir?
Swann apparait quelque part au 2/3 du roman et cette intervenante va jouer un rôle phare dans la réappropriation du pouvoir d'agir et de la santé mental des deux premiers personnages. Art thérapeute utilisant un medium d'art japonais, le kintsugi, qui consiste à briser de la vaisselle pour la reconstruire ensuite avec de la poudre d'or pour colmater les fissures. Comme ce filon jaune qui traverse les trois visages sur la couverture du roman. Un art tout à propos pour reconstruire ces jeunes malmenés. Car, voyez-vous, ce genre de roman ne se contente pas de refléter certaines formes de violence faites aux adolescents, elle porte aussi sur la résilience, sur la reprise des rênes de sa vie et sur la capacité à surmonter les émotions négatifs qui peuvent les étouffer.
Comme le mentionne l'autrice, la famille est supposé être le nid douillet, le sanctuaire protecteur des enfants et des adolescents, mais un certain nombre d'entre eux n'ont pas cette chance. Pour eux, le domicile familial est compromis, l'harmonie familiale toxique ou absente, leur sécurité et leur santé en péril. Pour certains ados, les parents, que ce soit par leur éducation ou leur désintérêt, ne savent pas être des parents. Il est vrai que c'est encore tabou en société de traiter de ces cellules familiales dysfonctionnelles ou néfastes. À une époque, au Québec, c'était la règle: "ce qui se passe chez le voisin ne concerne que le voisin". Résultat, on ne dénonçait pas la violence fait aux enfants et aux adolescents. On n'en parlait pas.
Ça me fait donc toujours un velours, en tant que libraire jeunesse, de voir les tabous mit en lumière, aussi moches et confrontant soient-ils, parce que ça donne une occasion d'en parler et de développer notre empathie face à ces situations révoltantes et pathétiques. Pas seulement pour traiter des maltraitances en elle-même, mais pour traiter aussi des solutions, de la prévention et de la reconstruction psychologique. Swann en est un bel exemple. Certaines personnes comme elles sont de vrais facteurs de résiliences, des personnes phares qui croient au pouvoir d'adaptation des jeunes, de leur faculté à se rebâtir et sont présentes, mobilisées pour eux. Avoir "foi" en eux, en quelque sorte. Il en faut, surtout dans ces contexte où les parents ne peuvent pas tenir ce rôle de facteur de résilience pour leurs propres enfants.
Le texte, sans surprise, est très chargé émotionnellement, ça peut remuer beaucoup de sentiments et peut-être vous tirer quelques larmes. Ce fut mon cas. On peut dire que l'autrice a su mettre les bons mots. Elle a bâti le roman en "thriller psychologique", donc on apprendra certains détails progressivement, comme l'histoire du personnage de Lou. Les chapitres s'alternent rapidement, ils sont courts et change de narrateur chaque fois.
Je réitère que les romans sont de formidables outils à mettre dans son coffre de vie. Ce sont également, quand il sont bien faits, des fenêtres intéressantes sur des situations avec lesquelles nous sommes peu familiers. Reconnaître un enjeu social commence avec la prise de conscience de cet enjeu, après tout. Ce roman vient donc s'inscrire dans cette logique. Ce n'est pas tendre, mais ça s'ouvre sur l'espoir.
Pour un lectorat Jeune adulte, 17 ans+.
**Def. "Détournement cognitif" [ gaslighting]: est une forme d'abus mental dans lequel l'information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l'abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale. Source: Office québecois de la langue française.
Pour les bibliothécaires et profs: Certains passages sont percutants, certains propos aussi. Il n'y a pas de scènes sexuelles et de violence particulièrement outrancière, mais on parle de sévices psychologiques et de déshumanisation à plusieurs degrés, ainsi que des attouchements, de la violence sexuelle verbale et beaucoup de "gaslighting"( Détournement cognitif). La violence psychologique est très présente et on a de la maltraitance par négligence de la part de deux couples de parents. Bref, un roman plus à propos pour les ados plus matures et jeunes adultes, avec des concepts plutôt méconnus ( mais très pertinents!). N'oublions pas cependant que le but de ce genre de roman est de conscientiser et informer, c'est donc voulu.
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Créée
le 22 juin 2022
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