Témoignage terriblement poignant. Le livre, structuré en journal intime, retrace de manière chronologique le parcours de Caroline Darian après l'arrestation de son père, le 02 novembre 2020. L'histoire ne s'arrête pas à la révélation des faits. Il faut ensuite intégrer l'information, reconnaître le mal infligé, constater les ravages. Essayer de faire sens de tout ça (qui est véritablement cet homme que j'appelais papa ?) et tant bien que mal continuer sa vie.


Ce récit donne un autre éclairage sur l'affaire des viols de Mazan. Ce que Gisèle a subi est d'une infamie incommensurable et ce procès est une bonne chose en soi, pas de débat là-dessus. Mais il y a une autre victime : sa fille. Force est de constater que le préjudice subi par la fille est occulté par celui de sa mère. Comme il n'y a pas de preuve vidéo et que son père n'avouera jamais, elle ne sera jamais libérée. Elle ne saura jamais précisément ce qui lui est arrivé.


Cette version de l'histoire nous montre aussi Gisèle Pelicot sous un autre jour (attention spoil). On apprend qu’elle n'a connu qu'un homme dans toute sa vie, et qu'elle était (est) sous son emprise malgré ce qu'elle affirme haut et fort. Caroline a été témoin de violence conjugale quand elle était enfant. Dominique interdisait à Gisèle de se mêler des finances. Il a caché des dettes monumentales que Gisèle doit aujourd'hui assumer. De plus, il continue à exercer son influence et sa manipulation à distance via des lettres qu'il adresse à sa femme pour lui empoisonner l'esprit. Ça marche : elle le prend en pitié, minimise ce qu'il a fait, s'inquiète de son bien-être en prison. Le patriarche est arrivé à diviser la famille en deux clans : le camp du déni avec ceux qui se rangent de son côté, et ceux qui regardent la réalité de ses crimes en face.

J'ai été bouleversée lorsqu'une pauvre petite lettre, un seul mot de son ex-mari, a suffi pour retourner Gisèle contre sa propre fille. Dominique prétendait être attaqué par Caroline en prison et ordonnait, du tréfond de sa cellule, qu’on la "calme" ... Des accusations évidemment fausses à visées purement manipulatoires. Mais Gisèle a réellement cru qu’il se trouvait en danger à cause d’elle.

J'ai été peinée d'apprendre que Gisèle a essayé de maintenir Caroline dans l'ignorance. Si ça avait été en son pouvoir elle l'aurait empêchée d’avoir accès aux preuves et écartée du procès. Elle l'infantilise, la coupe (de quel droit ?) de la vérité, de son propre vécu. Pour la protéger dites-vous ? Non, car même face à l’évidence (les photographies prises d’elle prouvant qu’elle a été droguée par son père) sa mère lui dit de "ne pas se torturer l’esprit. Ton père n'a pas pu te faire une chose pareille", sans lui manifester d'autres formes de soutien. Elle nie les souffrances de sa fille tout comme Dominique mettait les black-out de Gisèle sur le compte d'un prétendu surmenage.

Oui, il y a des mécaniques toxiques et dysfonctionnelles dans cette famille. A plusieurs reprises, Caroline mentionne une inversion des rôles parent-enfant, se sentant le parent de son propre parent. Comme lorsque Dominique appelle sa fille - qui à ce moment-là traverse de graves soucis de santé - pour lui quémander de l’argent. Dans le plus grand des secrets, elle s’exécute.

Le climat incestuel s’élargit : Caroline évoque en passant ce grand-père violeur (le père de Dominique) chez qui ils envoyaient leur fille en vacances quand elle était enfant en toute connaissance de cause. Incompréhensible.

Au moins, ce récit, personne ne pourra lui enlever. J'ai beaucoup de respect et de compassion pour ce qu'elle a vécu. Je me suis reconnue dans une partie de son histoire.


Enfin, ce livre dénonce le manque de prise en charge des victimes par le système judiciaire qui devrait collaborer davantage avec les professionnels de la santé. Et bien sûr Caroline Darian cherche à alerter sur le phénomène de soumission chimique, méthode de choix des violeurs, probablement plus répandu qu'on ne pense dans notre société.

Oxalys_93
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le 5 déc. 2024

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