Qui veut tirer à soi le spinozisme en fera une passion triste. Spinoza est le lieu réflexif où peuvent se retrouver unis les croyants libres et les athées ouverts, parce que sa pensée tient unis la matière et l’esprit, le sensible et l’intellectif, la physique et la métaphysique, le simple et le sublime. Tout ceci se trouve réuni dans l’idée d’une nature qui partout et de toutes les façons possibles se développe pour réaliser toutes ses potentialités ; pas celles que nous pourrions lui attribuer, mais celles qui reposent dans son insaisissable unité et dont elles procèdent. Spinoza nous propose la plus vaste entreprise de détournement jamais conçue : détourner nos passions tristes en passions joyeuses, détourner nos joies finies en autant de moments d’une éclosion infinie : maintenir unies, dans notre croissance existentielle, les formes du fini et la saveur infinie, sculpter toute chose – une œuvre, un acte, une parole, un désir, un élan, une émotion, les leçons d’un échec, les blessures de la vie… - dans une expression matérielle nécessairement délimitée, mais unie à une expression spirituelle infiniment ouverte à toutes les éclosions possibles. Selon Spinoza, la joie signale le chemin, et elle est la sève qui fait croître l’individualité en direction de son accomplissement ; elle est la vie qui apprend à se réjouir sans limites.
De quoi se réjouit la vie ? D’elle-même allant s’élargissant vers ses propres floraisons. Spinoza fixe une sorte de but à cette dynamique de dépassement-détournement-croissance : il l’appelle béatitude, tout en se gardant bien de l’enclore dans une définition, mais c’est sans doute le moment à partir duquel la nouveauté devient éternelle, et l’éternité nouvelle. Pour finir, Spinoza nous propose non pas de vivre les pieds sur terre et la tête dans les étoiles, mais en faisant croître leur réciprocité. D’avoir les pieds chaussés d’étoiles, de devenir des étoiles qui marchent sur la terre.