Belfast brûle.
Incendiée par la haine, embrumée par la poussière des gravats de bâtiments plastiqués, elle regorge de conflits, de désaccords, de coups. Elle pullule de règlements de compte, de menaces, de passages à tabac sous couvert d'acronymes incertains, déployés à la hâte sur une rangée de briques. Elle livre son quotidien dans une incertitude permanente, dans une méfiance pesante, absurde, dans une chappe de plomb sans ouverture.


Derrière la brutalité de son ordinaire, le fatras immonde qui sert d'habitants à la ville tressaute dans des rues aux noms amèrement ironiques. Poetry Street, Hope Street, Eureka Street vivent au rythme des explosions de cette guerre sans combattants, ou ne meurent que des innocents.
Pourtant, au coeur de cette ville incendiaire, la vie suit son cours. Imperturbables, les ploucs qui peuplent les maisons sales de Belfast continuent de garder un boulot, péniblement, ou d'en chercher un. Ils continuent de sortir entre potes, de tapisser leurs tubes digestifs d'alcool, de boire pour oublier d'oublier, de draguer des trop jolies filles et de tomber amoureux des passantes.


Ils continuent à faire leurs les heures de la nuit, ces heures où Belfast ne dort que d'une oreille, où quelques lumières faiblardes tracent le chemin d'un ivrogne perdu, assailli par les affiches et les drapeaux. Ils errent dans ce torrent de noirceur, où la haine susurre à leur oreille de son haleine tiède, où le vent frais fait frissonner leur échine. Ils arpentent ces rues sombres, désertes, d'une ville en pause où les destins croisés ont pris une halte.
Et quand le temps reprend sa course, que le soleil refait surface, la ville et ses histoires repartent, les récits s'entrecroisent et s'embrassent dans un ballet majestueux et indescriptible. Toutes les rues bruissent d'une vie qui grouille, d'histoires qui devraient être racontées, toutes les rues bourdonnent une vie épique, phénoménale, toutes hurlent leur attachement au temps présent.


A Belfast plus qu'ailleurs, on rit autour d'une bière, on drague des serveuses, on aime ses amis, qu'ils soient catholiques, protestants, séparatistes ou unionistes, Anglais ou Irlandais.
On tisse des relations, on crée des liens, on aime, on hait. On hurle des fois.
Tous ces ploucs qui se battent, qui crient, qui jouissent, tous participent à l'immense bordel ambiant qu'est Belfast, ce sont eux qui animent cette décharge des plus belles intentions. Ce sont eux qui accomplissent leurs rêves, perdent leurs boulots, se font plaquer, tabasser, insulter.


Au coeur de cet enfer incendiaire, ils vivent avec une intensité qui fait peur. Et si on les suit, pour peu qu'on les comprenne, ces types moches, ravagés, alcooliques, on deviendra comme eux. On aimera vraiment, on respirera vraiment, on sera émus de vivre avec une présence, des cheveux sur l'oreiller, des petits riens qui remplissent un vide que l'alcool ne comble que pour un temps.
Et la nuit, on sortira, on s'engueulera avec ses amis, on rencontrera des inconnus, on verra Belfast à nu, dans le froid d'un soir qui n'en finira plus. On prendra le vent dans la gueule, les yeux dans les étoiles.
On se dira que Belfast brille.

Black_Key
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le 3 juil. 2016

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