Dans Exodes, Jean-Marc Ligny nous offre une vision d'un insondable pessimisme sur l'avenir de l'humanité. Extrapolant les conséquences futures du réchauffement climatique sur notre planète, il décrit sans concession la déliquescence inéluctable de l'humanité.
Nous serons les témoins du destin d'une galerie de personnages d'origines sociales et géographiques variées dont les trajectoires vont parfois se croiser, luttant désespérément pour leur survie et l'espoir illusoire d'une vie meilleure.
Sur des terres ravagées par la sécheresse, les inondations, les tempêtes, les rares survivants se terrent comme des rats dans des villes fantômes et des villages fortifiés soumises aux menaces perpétuelles des pillards, des joyeux "boutefeux" bien décidés à annihiler les derniers vestiges de l'humanité et autres mangemorts... Les nantis quant à eux se sont abrités sous de gigantesques dômes dans lesquels ils perpétuent un mode de vie bien plus précaire qu'ils ne l'imaginent.
Paula a fuit Venise, noyée par la montée des eaux, dans une quête désespérée d'un remède pour son plus jeune fils malade. Mercédès, la sévillane, a sombré dans une dévotion aveugle l'exposant à des désillusions abyssales. Fernando, son fils, a choisi de quitter sa bigote de mère pour tenter sa chance plus au nord où il intégrera un clan de boutefeux ambitieux. Mélanie tente désespérément de préserver les derniers représentants de l'espèce animal. À Davos, dans une enclave privilégiée, Pradeesh, un scientifique, tente de mettre au point un processus pour créer des surhommes susceptibles de s'adapter aux nouveaux paradigmes. Enfin Olaf et Risten, décident de quitter leurs îles Lofoten, en Norvège, las de la pression démographique grandissante causée par les réfugiés climatiques pour vérifier par eux même si l'herbe est plus verte ailleurs. Spoiler : Non.
Ce roman d'anticipation climatique excelle particulièrement dans l'évocation et les descriptions des paysages apocalyptiques que traversent nos différents protagonistes. La traversée de la Mer du Nord sur les territoires submergés du Danemark et des Pays-Bas est particulièrement éprouvante, autant pour Olaf et Risten que pour le lecteur. L'Espagne est devenu un désert balayé par des tempêtes de sable alternant avec des zones marécageuses infestées de moustiques vecteurs de maladies. L'extinction des animaux est quasi totale à l'exception d'espèces plus aptes à s'adapter (fourmis, scorpions etc...) ou à muter (méduses corrosives).
Le genre humain, ou du moins ce qu'il en reste, est désespérément fidèle à lui même, égoïste, cupide, replié sur lui même et son éventuelle petite communauté. Des pillards essaiment les routes, des bandits font la loi dans les ruines des anciennes métropoles, des médecins se livrent à du trafic d'organes, des faux prêtres dépouillent leurs ouailles, on meurt de faim, de maladies, on s'abime dans l'alcool, la drogue, des communautés nostalgiques du nazisme se livrent à une guerre sans merci contre les réfugiés climatiques, pendant que les bourgeois vivent leur meilleure vie dans leur prison dorée devant les portes de laquelle s'agglutinent des milliers de pauvres hères qui pourrissent dans l'interminable attente d'une chimérique autorisation d'accès à l'enclave.
Les chemins arpentés par nos personnages vont parfois se croiser puis se rejoindre à Davos pour un final apocalyptique dont personne ne sortira gagnant. L'ironie finale de l'auteur vient doucher définitivement les derniers espoirs de survie d'une humanité qui aura consciencieusement précipité sa propre extinction.
Le récit n'est pas exempt de défauts, quelques longueurs, certains rebondissements téléphonés, certaines situations improbables, mais la cruauté de l'auteur envers ses personnages est sans concession, le manichéisme n'a pas sa place dans un univers où la survie est la seule motivation et dans lequel il n'y a de toute façon aucun échappatoire.
Exodes est paru en 2012. En 2020 nous avons connu une pandémie, des nouveaux records de températures, des incendies dantesques aux Etats-Unis, d'innombrables tempêtes, crues, inondations, des catastrophes écologiques dramatiques en Sibérie, l'accélération de la fonte de la banquise, la poursuite effrénée de la déforestation de l'Amazonie, le tout dans l'indifférence générale des marchés économiques et des dirigeants qui gouvernent ce monde. Alors sans vouloir jouer les oiseaux de mauvaises augures ou les Nostradamus de pacotille, en mon fors intérieur, je me dis quand même que nous allons droit dans le mur avec un certain entrain.