Petite étoile douce-amère, la «Fable d’amour» d’Antonio Moresco, deuxième récit traduit en français à paraître aux éditions Verdier en août 2015 (traduction de Laurent Lombard), brûle d’un feu intense, comme son récit jumeau «La petite lumière».
Un clochard solitaire, qui porte lui aussi le prénom d’Antonio, vieux fou dissemblable au milieu de ses semblables et qui cherche à disparaître, a tout oublié dans la rue : la parole, le rire et même sa propre identité.
La seule compagnie qui lui reste est celle d'un pigeon voyageur à l’aile blessée.
«Il était une fois un vieil homme qui s’était éperdument pris d’amour pour une fille merveilleuse.
Ce n’était pas seulement un vieil homme, c’était aussi un clochard, un de ceux qui dorment dans la rue sur des cartons, un homme perdu, un déchet humain.»
Histoire invraisemblable, une jeune fille merveilleuse, aussi douce et veloutée qu’il est maigre et ridé, aussi parfumée qu’il exhale la puanteur, aussi belle qu’il est laid, va le regarder, l’aimer et ramener à la vie ce presque-fantôme, ébahi, perdu, puis éperdu d'amour.
«Il ne voyait pas les autres et les autres ne le voyaient pas.
Cette fille, en revanche, le regardait. Parfois elle ralentissait même le pas afin de le voir plus longuement tandis qu’elle passait. Elle observait avec attention ses traits sous ce masque de crasse et de poussière, et son visage entouré de longs cheveux, aussi raides que ses haillons, et d’une longue barbe.»
Les fables sont cruelles tout autant que merveilleuses, et Antonio Moresco, s’appuyant sur la liberté qu’autorise le conte, compose le récit nimbé de mélancolie et de douceur, d’un amour impossible, en même temps qu’une méditation sur la méchanceté, le rejet et la mort.
«Ils avançaient ainsi, lentement, sans parler, dans le monde qui s’illuminait, et les passants qu’ils croisaient sur le trottoir se retournaient pour regarder abasourdis ces deux êtres, un vieux clochard aux cheveux longs et au nez cassé et une fille merveilleuse, qui marchaient enlacés.
S’ils avaient levé les yeux au-dessus de la ville, des maisons, des immeubles et des toits, ils auraient vu également la forme d’un pigeon qui passait au-dessus d’eux de son vol bancal, dans le ciel, avec son aile blessée.»
Avec une écriture et une structure dépouillés de tout artifice, cette «Fable d’amour», à mi-chemin entre le monde des vivants et des morts, réussit sur le fil du rasoir, sans jamais basculer dans la mièvrerie, à interroger la cruauté de l’existence et de la solitude et à souligner la puissance de l’amour, et en contrepoint, la noirceur du matérialisme et des désirs superficiels.
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