Le titre et les propos de monsieur Desmurget tendent à s'interroger sur la lecture, or il nous alarme plus particulièrement sur le recul du support imprimé, pas tellement sur la pratique de la lecture. Pratique qui a baissé, en oubliant de préciser que les BD sont aussi en fort recul (20% des Français qui ont lu au moins une BD sur les 12 derniers mois en 2018 contre 41% en 1988 selon L'enquête pratiques culturelles de 2018 de notre ministère de la Culture). La musique et les jeux vidéo ont quant à eux explosé. Également, l'auteur ne soulignera pas que les personnes nés entre 1945 et 1964 sont légèrement plus grands lecteurs que leurs aînés ; puisqu'il ne fait pas dans la sociologie, de toute façon, il ne comprend pas ne serait-ce l'Histoire. Il nous le démontre si bien quand il n'a que monsieur H dans sa plume lorsqu'il parle des nazis.
Le livre est mal écrit, désorganisé. Plusieurs fois trouvera-t-on des phrases comme "[...] nous y reviendrons plus largement dans la prochaine partie. (sic)" sans annoter la ou les pages en question, bien sûr. À se demander si l'éditeur a réellement fait son travail ou a juste publié Desmurget parce que c'était Desmurget. On reconnaîtra que l'auteur cite ses sources (quitte à citer son précédent livre deux fois à la suite ou un entretien du Figaro où il est lui-même l'interviewé), cependant, on notera qu'il aime citer la presse, revenir et commenter sur des sondages IFOP ce qui enlèvent toute la crédibilité de ses propos. Il use de sarcasmes qui ne feront rire que les convaincus, les conformant à une pensée toute trouvée. Il s'inscrit parfois dans le pamphlet, mais il n'aura jamais le talent d'un monsieur Destouches, c'est certain. Ainsi, on oublie vite les arguments pertinents. Sur certains passages, il aime citer des auteurs divers et variés, beaucoup trop, à se demander si on lit une compilation d'auteurs ou un Pierre-Yves Rougeyron sous acide.
On trouvera paradoxal lorsque Desmurget affirme que le but n'est pas de faire des enfants des grands littéraires, mais insiste sur le fait que les livres de pratiques, les magazines ou la presse ne permettent pas un développement aussi riche que la fiction. Par fiction, il faut entendre Hugo, Perrault ou autres grands noms scolaires de la littérature française, pas le dernier Guillaume Musso. Desmurget et d'autres disent que le livre permet une plus grand ouverture d'esprit ; ayant travaillé en bibliothèque et m'être confronté aux usagers habitués à la lecture, je m'interroge sérieusement sur cette prétendue ouverture d'esprit qui est indépendante de la pratique de la lecture, du moins, très loin d'en être l'unique facteur pour peu qu'on se pose la question. Autrement, ça n'expliquerait pas le Troisième Reich ou le Japon des débuts de l'ère Shōwa.
Notre chercheur oppose le monde occidental au monde extrême-oriental. Il affirme que le premier s'est "tournée vers le loisir, la consommation et le profit (sic)" contrairement au second qui promeut le travail et la bonne éducation. Comme si les différentes lois sur la limitation du temps d'écran en Chine, en Corée du Sud (loi Cendrillon ou Shutdown law qui s'est complètement viandé là-bas d'ailleurs) et à Taiwan ne sont pas symptomatiques de l'omniprésence des jeux en ligne et des gacha (pas sûr que Desmurget ne sache ce qu'est un gacha) et de l'explosion du développement d'Internet dans ces pays. L'un des géants de l'industrie du jeu vidéo n'est autre qu'une boîte chinoise, Tencent. L'auteur nous fait un aparté sur la rigueur, le travail, l'autodiscipline et l'excellence de "la communauté asiatique" (mettez un pluriel s'il vous plaît monsieur, vous nous insultez en mettant un singulier). Il s'appuie pour cela sur Amy Chua, ou plutôt Amy Cài en bonne langue commune, puisqu'elle est hokkienne d'origine... Figure américaine controversée d'ailleurs. L'éducation stricte préconisée par madame Cài, surnommée Tiger Mom (stéréotype de la mère stricte et sévère qui fait tout pour la réussite socio-économique de son enfant), n'est nullement représentative des éducations parentales chez les asiatiques. Ils justifieront tous par "c'est l'éducation confucéenne !" ; argument qui paraît aussi solide que certains de mes anciens qui pensent que l'homme a toujours raison et que ça a toujours été comme ça dans nos traditions. Si Kǒngzǐ s'impose comme l'immense figure du courant, il est loin d'être l'unique éducateur, mais, bref, passons. Cette fameuse éducation stricte ne pousse pas vers la curiosité et l'esprit critique, mais dirige vers la compétition permanente. Avec mes yeux bridés et mon nez plat, je suis bien content d'entendre quand on me qualifie de "travailleur" ou de faire preuve "d'excellence", mais force est de constater que tout cela invisibilise la précarité économique et sociale que connaissent des communautés asiatiques qui ne sont pas issues de la bourgeoisie et ne parlent pas dans un "bon" français ; sans compter l'immense pression sociale qui en découle.
Desmurget nous fait rappeler tous ces anciens éloignés des occupations des jeunots ; largués et faisant les gros yeux, quand il faut leur rappeler que non, les "meuhporgue" c'est dépassé depuis 2010 et que les jeunes jouent surtout à ce jour à des jeux de casu sur smartphone. De même, leur faire rappeler que leur vision du monde est plus tronquée que la nôtre. Que non, les histoires au format Twitter existent réellement et sont devenues une sous-discipline de l'écriture. Que non, les dictatures et autres régimes "totalitaires" adorent la culture et la lecture, justement outils de manipulation des masses. Que non, l'imprimerie n'était pas un "cataclysme (sic)" qui nous a soudainement transformé d'analphabètes à lettrés, indépendamment des transformations sociales, économiques et politiques. Desmurget est content parce qu'il provoque. Desmurget jubile parce qu'il dérange. Il oublie qu'il se comporte plus comme un intermittent du spectacle qu'un chercheur du CNRS. Le livre fait rire pour de mauvaises raisons. Je pense que l'auteur a réussi à me faire prendre conscience que dédier mon temps pour la littérature scientifique de la sociologie de la lecture et notamment Les pratiques culturelles des Français est plus important qu'un énième torchon alarmiste.
Sans ces nombreuses coquilles, ces apartés et les aventures dangereuses vers des domaines que l'auteur ne connaît visiblement pas, on aurait pu avoir un essai tout juste correct. Face à un chercheur du CNRS, je me montre doublement sévère.