Le meilleur "Harry Hole" ? Oui. L'un des meilleurs Nesbø ? Sans aucun doute. Car "Fantôme", c'est le passage du thriller à la pure tragédie. Plus de serial killer - ouf ! - mais la triviale épouvante du trafic de drogue. Encore une fois le procédé de double narration, mais beaucoup plus prenante : l'un des narrateurs est déjà mort, l'autre le sera bientôt, et la convergence des deux récits vous vrille la conscience. Pas de ramification néanmoins de l'intrigue, pas de trucs littéraires malins, juste un récit terrifiant qui avance droit vers le mur, ou plutôt vers les balles qui mettront fin à tout ça, et vers ce fameux rat, qui doit coûte que coûte se frayer un chemin vers sa progéniture. Même ce vieux Jim Bean paraît moins effrayant, quand on pense à tous les fantômes qui errent dans les rues d'une ville nommée Oslo qui ressemble ici à l'Enfer. Car l'Enfer, ici, ce n'est pas Autres, c'est plus simplement les Nôtres : maris et femmes qui se mentent, frères qui abusent de leur sœur, pères qui condamnent leur fils à la mort ou pire encore, à moins que, justement, ce ne soient les fils… Dans "Fantôme", polar exsangue où l'on tranche les gorges de ses ennemis, mais où l'on réserve un sort bien pire à ceux qu'on aime, l'espoir n'existe plus, l'amour est une défaite, l'amitié est un simulacre. Plus possible de même prendre un avion pour aller se cacher à l'autre bout du monde, comme si le temps était une matière élastique résistante, comme si la terre tournait désormais à l'envers, rendu folle par une nouvelle drogue qui remonte les filières de l'aval vers l'amont. "Fantôme" est le couronnement incroyable de la saga destroy de Harry Hole, qui atteint ici à une sorte de sublime épiphanie : "Stalker" de Tarkovski est cette fois la référence pour Nesbø, rien ne fait plus sens dans la "ZONE", seul le pire est certain, mais on continue quand même d'avancer. Un putain de bouquin, une putain d'expérience.
[Critique écrite en 2018]