Réagir face à la différence
Le sujet principal du roman est l’apparition de poils chez les adolescentes du monde entier, les transformant peu à peu en Félines, autrement dit des félins femelles, avec des sens aiguisés et une volonté farouche de se défendre face aux agressions extérieures.
A travers une myriade de personnages rencontrés par Louise, l’héroïne du roman, l’auteur passe en revue l’ensemble des réactions face à ce phénomène inexpliqué et ne nous épargne rien : suicide face à la honte, fierté d’appartenir à une nouvelle évolution, répression vis à vis de la différence, soutien de cette différence.
Ce qui va sous-tendre le récit est l’opposition entre les pro-félines et ceux qui souhaitent leur éradication. On voit évoluer ce qui semble être un groupuscule extrémiste religieux anti-félines avec un leader charismatique. Ce groupe va proposer tout d’abord que les félines ne soient plus scolarisées avec les autres pour éviter une « contamination », puis, en prenant de l’ampleur via la politique et la police, devenir une forme de répression très élaborée : port d’une « Aube » pour cacher ses poils qui rappelle la Burka, interdiction de rassemblement, refus de prendre en compte leurs plaintes en commissariat, regroupement dans des camps de travail…
Les félines se voient contraintes soit de fuir, soit de se plier aux lois dictées par les hommes et surtout ce dogme religieux. Si Louise reste pacifique, Fatia et d’autres veulent en découdre. Ici, on touche à la manière de réagir face à une injustice, ce qui rappelle de nombreux conflits.
L’auteur analyse de manière très fine à travers ce récit fantastique certains combats : Black Lives matters, l’homosexualité au sens large, tout forme de ségrégation, voire la Shoah, et interpelle le lecteur sur ce qui pourrait arriver dans sa réalité, s’il n’y prend pas garde.
Grandir en étant différente
Louise, notre héroïne, est une ancienne bimbo de lycée qui a vécu un accident traumatisant, lui laissant des séquelles physiques et mentales. Cet incident, et le décès de sa mère, l’ont profondément changée. Habillée d’une cape, studieuse, elle est devenue la fille bizarre du lycée.
C’est à travers son regard que nous aborderons le phénomène des Félines, mais aussi les affres de l’adolescence.
Sa transformation, d’abord honteuse et que l’on pourrait assimiler à la puberté, sera au contraire une libération. Libérée de son corps recouvert non plus de cicatrices, mais de poils, elle va vivre une véritable renaissance et le clamer haut et fort.
Fuyant la violence, elle tente de vivre une vie normale avec sa famille en dépit des discriminations dont elle est victime : elle va chercher son petit frère à l’école, passe du temps avec son père, a un amoureux.
Sa plus grande grande appréhension sera d’être acceptée par sa famille et son petit-ami pour ce qu’elle est devenue, rappelant ainsi les changements qui peuvent survenir à l’adolescence et le regard des autres.
L’interrogation sur sa sexualité et celle de son petit-ami seront aussi abordés. Les premiers émois amoureux sont difficiles, effrayants et Louise cache d’autres secrets qu’elle aura du mal à dévoiler.
Le roman met surtout en avant, à côté du phénomène étrange des félines, le courage de devenir soi, malgré le regard des autres et l’envie de se plier au conformisme. Ainsi, Louise par sa détermination et son pacifisme, tentera de désamorcer le conflit entre Félines et détracteurs et deviendra un symbole malgré elle. Cette expérience l’aura transformée en adulte, comme peut l’être l’adolescence.
Quelques bémols
Je n’ai pas aimé le début du roman, pas très accrocheur à mon goût. Le ton est celui d’une adolescente qui est censée parler avec son langage à elle, mais cela tombe un peu à plat. J’ai failli ne pas continuer en me demandant si l’auteur savait comment s’expriment vraiment les adolescents et s’il visait un vrai lecteur adolescent avec son livre. Bref, pas un adulte en tout cas.
La deuxième chose qui m’a agacée est le côté fourre-tout des sujets abordés dans ce roman : Féminisme, viol, masculinisme, discrimination, racisme, homophobie, , épidémie mondiale, Génocide et la petite référence sympa aux camps de concentration (voilà pour le point Godwin). Le mieux aurait été de traiter un seul sujet. Je me suis sentie un peu perdue avec tout ça.
La fin m’a également déçue. Elle se veut ouverte sur une nouvelle ère… mais de quoi ? On ne sait même rien sur les enfants nés d’une féline et d’un homme. J’aurais voulu en savoir plus sur le sujet.
En conclusion : Stéphane Servant signe un roman fantastique coup de poing qui aborde le phénomène de l’adolescence et de la discrimination de manière fine mais un peu fouillis. Si le ton est juste et l’analyse des réactions éclairante face à un nouveau phénomène, j’aurais apprécié plus de simplicité dans les thématiques évoquées.