Femmes Blafardes comporte dans son titre toutes les caractéristiques qui font son cachet si particulier : une écriture crue, presque drôle, parodique et grotesque, le tout parsemé d'un peu d'absurde, voire de ce petit quelque chose de fabuleux qui fait la couture des grands romans. Je pense que Pierre Siniac a signé un monument d'ironie et un des polars les plus virtuoses du XXème siècle français, qui se paie le luxe d'être à la fois une mise en abîme impressionnante de la société des années 80, mêlée de tradition et de modernité, et une sorte de roman-cosmos très performant qui rappelle très fortement l'écriture de l'auteur portugais José Saramago. Femmes blafardes est le miroir d'une société qui change et se transforme, passant d'une société traditionnelle, bourgeoise et bien réglée à une nouvelle ère toute faite d'anarchie, de cruauté et de mystères. C'est le roman de ce je ne sais quoi qui dérègle tout ce qui est, qui brise les dynamiques d'antan et impose un monde de solitude, de cynisme et de tragique. Ainsi, quand Chanfier, un minable policier en reconversion, tombe en panne dans un village imaginaire où sévit, chaque jeudi soir, Jack l'Eventeur, un assassin qui laisse près du corps de ses victimes un éventail, et qui n'agit que lorsque le chef du restaurant Aux 3 fourchettes sert un lapin chasseur, ce n'est pas seulement l'absurdité de la chaîne des évènements qu'il décrypte, mais bien celle de son époque. Dans une galerie de personnages drolatiques, avec un style éblouissant, Pierre Siniac nous fait rire dangereusement et presque pleurer d'ironie. Il y a quelque chose d'insupportable dans ce roman à mourir de rire, un petit quelque chose qui nous échappe : un grain de sable dans une machine infernale. Un délice!