Nous les connaissons, ou du moins nous pensons les connaitre. Ces dictateurs longtemps affublés de clichés plus ou moins fondés nous dévoilent dans ce livre une tout autre part de leur personnalité, une part tantôt obscure, tantôt touchante de leur éminence. Au fond, est-ce que les femmes n'ont pas toujours su déceler l'homme, l'être faible, délicat qui se trouve dans tout mur de virilité, de puissance ?

« La contribution de l'homme à l'histoire se borne à une goutte de semence. » Jiang Qing, quatrième épouse de Mao (page 278).
N'y voyez pas là de simples anecdotes. Les frasques amoureuses ou les grands amours de ces hommes souvent effrayants ne sont pas à minimiser, au risque de négliger le pouvoir d'une femme sur un homme, aussi tyrannique soit-il.
Dans cet essai passionnant, Mussolini, Lénine, Staline, Salazar, Bokassa, Mao, Ceausescu et Hitler se mettent à nu pour nous et nous font découvrir celles qui ont fait leur force mais aussi leur faiblesse.
« Je t'aime follement... et je voudrais te dévaster, te faire mal, être brutal avec toi. Pourquoi mon amour se manifeste-t-il avec cette violence ? J'ai un besoin de t'écraser, de te mettre en pièces, une impulsion violente. Je suis un animal sauvage. » Mussolini (page 88).

Au début, il y a ces lettres. Ces montages de lettres. « Difficile d'imaginer le dictateur à la petite moustache dans la peau d'un sex-symbol. Dérangeant surtout. Pourtant, Adolf Hitler reçut plus de lettres de fans que Mick Jagger et les Beatles réunis. » (page 10) Et pourtant, même cet Hitler aux débuts amoureux plutôt médiocres et timides comprit bien vite qu' « avant de pouvoir « jaillir » sur l'Allemagne, il lui faut privilégier sa formation à la cour des femmes de bonne famille. » (page 352)

Les égéries dépeintes dans ce livres sont parfois douces, parfois cruelles mais surtout, la plupart du temps, follement amoureuses.
Il faut dire qu'après tout, leurs compagnons ont des caractères bien particuliers. Mussolini par exemple, nous est montré comme un homme beau, viril qui possède un appétit sexuel démesuré. Bien évidemment, on s'y attendait. Mais quand un fragment de leur tendresse nous est dévoilé, il nous est pratiquement impossible de ne pas fondre devant de tels hommes. Staline déclare à la mort de sa femme, Kato : « Cette créature était la seule à pouvoir adoucir mon cœur de pierre. Elle est morte, et avec elle est mort tout sentiment chaleureux pour les êtres humains. » (page 147) Après quoi, on met en terre le cercueil de la défunte épouse et il se jette dessus, désemparé.
Et puis il y a cet érotomane, incapable peut-être d'aimer sincèrement. Mao, un homme aux multiples adultères qui ne prend pas la peine de s'attarder sur son hygiène corporelle. « Je me nettoie dans le corps de femmes » Mao (page 294).
Ou encore le couple Ceausescu, fidèle jusqu'à la mort. Elena, épouse jalouse jusqu'au crime et Nicolae, son mari, prêt à lui donner le yacht d'Hussein et prêt à céder à bien d'autres de ses caprices.
Puis il y a Salazar, qui lui, ne se maria jamais. Le Doutor ne se privait pas pour autant de chaleur féminine. « Felismina, Maria-Laura, Emilia et Mercedes ont-elles été sacrifiées à la raison politique par un homme apathique, ou délaissées par un homme qui ne sait pas aimer ? Très certainement un peu des deux. » (page 210).
Et même encore ce Lénine et son complexe d'Œdipe aux idées sur la femme assez rétrogrades. « Je me méfie des théories sexuelles et de toute cette littérature spécialisée qui croît abondamment sur le fumier de la société bourgeoise. » (page 130).
Et enfin, Bokassa, cocu avec des airs napoléoniens et avec sa belle épouse Catherine, maîtresse de Giscard d'Estaing.

Diane Ducret est une historienne, journaliste et philosophe née à Anderlecht. Elle fit ses études de philosophie à la Sorbonne et à l'École normale supérieure. Elle est également chroniqueuse pour Europe 1 dans l'émission On va s'gêner de Laurent Ruquier.
Et surtout, elle parvient à nous montrer cette partie de la personnalité de ces hommes qui ont su changer la face du monde de leur temps, et son analyse des sentiments se montre très juste. La jeune femme, grâce à son colossal travail de recherche historique, nous dévoile des moments clefs de la vie des dictateurs, des moments précieux. De plus, la façon dont elle agence les fragments de vies s'ordonne finalement très naturellement, presque comme si on nous contait des histoires d'amour.

Le style de Diane Ducret est des plus savoureux. Il est un savant mélange d'humour et de naturel. La lecture est très agréable. On ne butte jamais sur une phrase trop pompeuse dont le contexte nous est codé ou peu accessible.

En somme, ce livre nous en apprend de belles ! Mais pas seulement. Il se dévore, se consume sans aucun temps mort. Il humanise ces tyrans et en même temps, il nous confirme nos plus grandes craintes. Le travail de l'historienne lève le voile sur ces dictateurs qui étaient avant tout des hommes.
Ce livre à peine terminé qu'il nous tarde déjà de commencer le tome 2. Bref, les femmes de dictateurs n'ont pas fini de nous étonner.

Diane Ducret, Femmes de dictateur, Paris, Pocket, 2012, 434 pages
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le 21 avr. 2012

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