A LIRE : cette tactique. C'est du belge.
Comment impressionner la fille qu'on aime en secret ? Comment capter l'attention d'un petit fils d'une tout autre génération ? En bref, comment gagner un amour, une reconnaissance, un pardon. Cette question est au cœur du roman et la réponse nous est donnée à travers quatre personnages hauts en couleur.
Primé pour son premier livre, Les conquêtes véritables par le prix « Première » de la RTBF, Nicolas Marchal, professeur de français, nous dévoile ici son deuxième livre : La tactique katangaise. D'un humour cinglant, loin du potache mais subtilement cocasse, Nicolas Marchal nous dépeint « le livre d'un livre », l'histoire d'un livre, le sort de La tactique katangaise.
La narration est audacieuse, puisque les protagonistes se succèdent, alternant Stan, l'adolescent éperdument amoureux de Cynthia, le professeur d'histoire de ce-dernier, convaincu d' être le détenteur de la vérité sur la théorie du complot, Henriette, la grand-mère de l'adolescent et épouse de son défunt mari agent secret au Congo, et enfin Joseph, un vieil homme, ni plus ni moins auteur de La tactique katangaise. Leur point commun ? La tactique. Ce récit énigmatique sur un agent secret au Congo.
« Les filles. Les filles. Enfin, Cynthia, surtout. Parce que les filles en général. Les gonzesses, je veux dire les grosses gonzesses nazes, celles qui trouvent pas de mec, les romantiques moches qui font de l'équitation, qui chialent en regardant des films, qui lisent de la poésie et tombent invariablement amoureuses de leur prof de théâtre. Des gonzesses pourries quoi. » (page 11/12)
Le la est donné. Il faut trouver quelque chose qui fascine les filles, le genre de secret tellement inavouable que la fille en question tombera tout de suite amoureuse. Un grand-père agent secret au Congo ? C'est parfait ! Le tout agrémenté d'un look rock vintage. Cynthia ne pourra pas résister.
Les personnages sont choisis non sans une certaine finesse, bien que notre héros adolescent montre parfois la fatigue du personnage trop vite démasqué. Mais ce cliché à peine caché rend son personnage drôle et assez réaliste. Mais le vieil homme reste le plus captivant. Il possède un humour des plus agréables, s'alignant parfaitement sur le tendre ancêtre encore frais de par son esprit et sur un savant mélange de vulgaire « mais juste ce qu'il faut ».
« D'ailleurs elle devrait être plutôt contente que je fasse encore tout seul, comme un grand, et au milieu du pot s'il vous plaît sans qu'on m'y aide, parce que c'est plutôt rare par ici, la plupart de mes camarades de décrépitude, ils en croulent dans tous les coins des petits tas de fèces, ils s'en décorent les cuisses, en badigeonnent les clenches de portes, pas un couloir qui ne soit piégé antipersonnel [...] » (page 47/48)
Tout d'abord, cette histoire est un ouvrage qui se lit aisément, avec entrain et non sans esquisser un large sourire au détour de l'un ou l'autre jeu d'esprit. L'humour y est toutefois tantôt subtil, tantôt trop évident. Mais une chose est sûre, on ne s'ennuie pas.
Ensuite, la narration originale est une façon singulière de captiver le lecteur. Les points de vues utilisés sont très différents les uns des autres, de sorte qu'on n'est jamais perdu.
Pour finir, le seul élément qui pourrait nous faire faire une pause dans notre lecture, c'est l'absence de fond. Tout cela est sans doute voulu et finalement bien agencé. Mais on attend perpétuellement cette « chute » dans le récit qui décidément n'arrive jamais.
Le style est vif, tranchant, vrai. Il donne à lui seul toute la teneur du livre.
« Mais s'il savait combien je serais prêt à me faire voler CHAQUE JOUR dans mes tiroirs pour que revienne les petits gloussements de pucelles, les tortillements de culs moulé et les jeunes décolletés qui vous sautent au visage quand deux mains fines et douces vous nettoient le bas. » (page 47)
Les phrases sont tantôt très courtes, tantôt très longues. Le ton est donné. Tout le savant humour se joue sur la balance des deux.
« Je vais écrire une de ces lettres en haut-lieu, ça va gronder, la presse sera au courant, les grosses huiles du monde de l'optique, les organisations de défense des consommateurs, la Justice elle-même, ah il en fera de longues lampées dans son froc cet épicier de la focale, je vais te l'essorer, lui faire vider les lieux, l'envoyer tailler du verre en Sibérie, le faire remplacer par quelqu'un de compétent, quelqu'un qui sait reconnaître un client quand il en voit un, qui a l'œil, qui repère tout de suite le défaut d'adaptation, même infime, entre une monture et les courbes d'un visage. » (page 56)
La tactique ? Une perle de l'humour belge. Un vif aperçu de sa puissance sur nos zygomatiques. On regrette cependant le travail de l'éditeur. Les fautes qu'il a laissé passer nous coupent parfois dans notre lecture. Mais un livre ne se juge pas sur sa qualité d'édition, il se juge plutôt, par exemple, sur la force de ses personnages. Et Nicolas Marchal nous en produit de beaux.
Néanmoins, l'absence de fond dans l'histoire nous laisse toujours en suspense de « l'élément déclencheur » qui finalement n'arrive jamais.
Mais qu'à cela ne tienne, oubliez le grand livre d'espionnage pompeux que suscite le titre. Plongez-vous plutôt dans une atmosphère bien de chez nous.
Nicolas Marchal, La tactique katangaise, Bruxelles, Editions La Muette et Le Bord de l'eau, 2011, 234 pages