C'est un court roman que Carole Zalberg nous a proposé avec Feu pour Feu, dans la belle collection d'Actes Sud, "un endroit où aller".
L'auteure nous livre deux récits. L'un, comme une lettre d'un père à sa fille. Elle est mineure, et se trouve en prison. Il décrit leur voyage comme une épopée, sans fioritures, précis, concis, l'essentiel: leur périple, traversant mil dangers, pour fuir le massacre de leur village africain. Père et enfant, Adama dans sa toute petite enfance viennent se réfugier dans le “Continent Blanc” et lui a l'espoir de sa réussite après tant de détresse, de malheurs et des solidarités fortes trouvées sur son chemin. L'autre récit, qui s'entremêle avec la lettre du père, ce sont extraits des paroles, peut-être des déclarations d'Adama, dans sa langue ado, de la cité, pour expliquer, pour s'affirmer, pour se reconnaître dans l'horreur dont elle a été une des protagonistes, un des bourreaux sans le vouloir ou en tout cas sans comprendre où cela pourrait l'amener.
J'ai été ému, plusieurs fois tout au long de ce conte de la vie qui va. De ce que “le bien et le mal” peuvent nous apprendre dans la douleur et la souffrance d'une telle force de vie et de courage du Père et tant de désespoir, d'incertitude, d’incrédulité de la fille. Elle est confrontée au dérisoire d'une affaire mi-amoureuse, mi-vengeresse dans la loi du groupe, du clan crée par son cercle de filles dans l'insouciance qui était pour elles l'honneur et le désir d'un autre avenir, sans trop savoir définir lequel.
On se souvient de cet affreux fait-divers en septembre 2005 à L'Hay-les-Roses (94). Trois jeunes filles par dépit et pour punir une rivale, mettent le feu à sa boîte aux lettres. Le feu a été rapidement maîtrisé, sans s'étendre aux étages. Néanmoins une fumée toxique a envahie l'escalier de l'immeuble causant la mort de dix-huit personnes dont trois enfants. Quand on souligne trois enfants, c'est comme si on aggravait le chiffre des victimes, et dans l'occurrence, des victimes si proches de l'âge des agresseurs.
Rien ne nous est dit du fait-divers qui est pourtant tout le temps présent. Mais c'est quand elle est séparée de lui, de l'autre côté des murs, que le père raconte, lui raconte le chemin chaotique, le parcours d'aventure périlleuse et la croyance d'aboutir. Sa “lettre” nous donne à voir le drame du lieu de départ, la dureté du lieu d'accueil, fait de méfiance, de mépris, d'exclusion. Dans les digressions du père il nous décrit combien il s'est battu pour sa fille pour qu'elle reste auprès de lui, combien il l'a aimé dans les faits et gestes pour la faire grandir et combien aujourd'hui il attend encore: “Tu n'étais jamais loin mais je t'avais perdue. Et toi, j'en suis convaincu, tu sens que vous êtes prises vous aussi dans le feu meurtrier. Mais qui vous plaindra à part vos pères et vos mères? Et bien sûr nous aussi nous serons jugés et maudits” (pg 66).
Le livre de Carole Zalberg nous émeut par cette voix pleine de détermination pour courir, braver tous les pièges, bâtir sur les routes le passage fantasmé d'un avenir à conquérir par la conviction de l'engagement d'un père pour une autre vie pour sa fille. Elle nous le décrit avec une écriture fine, essentielle, sans jugement, juste dans la brèche qu'en liberté le lecteur s'accordera.
http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/140814/prix-litteraire-de-la-porte-doree