De son passé douloureux, il taira tout. Sa fille grandira sans connaître le secret de sa naissance, au coeur d'un charnier humain en terre africaine, ignorant son errance de nouveau né niché sur le dos du père. Quand enfin, il mettra des mots, ce sera trop tard : Adama, sa fille devenue adolescente, aura commis l'irréparable. Plus rien n'empêchera alors la parole de se déverser.
Alors il racontera, aussi bien pour elle que pour lui, l'horreur de la survie coûte que coûte car :
"J'aurai dû le savoir, ce qu'on ne regarde pas ne cesse pas pour autant d'exister. Il y a du drame à revendre dans tous les coins de rue de toutes les vies même les plus tranquilles, même les plus ternes. Je ne me pardonne pas d'avoir cru que toi et moi, parce que nous en avions eu notre content, de drame, nous en avions fini. Des petits malheurs, oui, des revers et des déceptions, oui, je m'attendais à ce que nous en rencontrions encore. Mais du drame, imbécile que je suis, je nous croyais définitivement protégés. Nous l'avions gagnée, m'imaginais-je, notre immunité."
Ce cri d'amour est entrecoupé par les dernières paroles prononcées par Adama, quelques heures avant son crime, aux pieds des tours de la cité.
Le double récit offre un décalage frappant : une même rage qui s'exprime de façon radicalement opposée. Quand le cri du père est marqué par la sagesse, porté par une langue âpre, imagée, aux mots amoureusement choisis, celui de la fille est imprégné d'agressivité, d'une musicalité à la limite de la vulgarité, le vocabulaire réduit au stricte minimum régit par "les lois tacites de la cité".
Un texte magnifique qui a reçu le prix littérature monde décerné lors du festival Etonnants Voyageurs : cette récompense met en avant «des œuvres qui parlent du monde et qui parlent au monde avec une même puissance"