Fin de l’histoire.
On ne naît pas homme on le devient. Quand on dit l'Histoire fait les hommes, au comptoir dans les journaux dans les dîners en ville, on ne croit pas si bien dire. Sous le couvert desdits hommes universels et asexués et inexistants, chemine une vérité inverse : l'Histoire fait les mâles. Au départ il y avait des corps infinis, dotés chacun de deux vagins, trois bites, un petit lot de clitoris et quelques anus. Au départ, il y avait une joyeuse colonne de gens presque indistincts qui s'avançaient indolents avec des désirs de belles bagnoles, de patinage artistique, de peinture sur soie, de tour du monde à vélo, de charlotte aux fraises, de charlotte aux framboises, de charlotte à la banane, de glisser sur de peaux de banane, de fabriquer des usines à tendresse, de secrétaire national du parti socialiste, de foot américain, d'écrire des livres, de monter une boîte de rencontres sentimentales sur Internet et cætera enfin bref peu importe, toutes les envies du monde quoi. Ils s'avançaient comme ça en colonne et soudain une douzaine d'individus lestes et nerveux surgissent des frondaisons en bordure de chemin. Certains sont des cow-boys, d'autres des Indiens, d'autres des bandits de grand chemin médiévaux. On note aussi un Romain reconnaissable à ses cothurnes, un Roumain reconnaissable à son odeur de cave, et un narcotrafiquant colombien difficilement reconnaissable. On ne sait pas s'ils sont déguisés ou non, si ce sont des vrais, ni d'où ils sortent, de la cuisse de Jupiter ou du cerveau de l'Histoire. Ils peuvent avoir de dix à quinze ans, de quarante à cinquante ans, peut-être les deux à la fois. Barrant la route, ils stoppent net l'avancée de la désirante colonne qui s'est tassée dans son élan puis immobilisée. Alors un cow-boy, probable chef des embusqués, donne de la voix pour faire avancer les gens un par un, ordonnant à chacun de se placer ici ou là, à droite ou à gauche, et quand deux groupes suffisamment fournis se sont formés de part et d'autre, se tournant vers le premier il dit : vous on vous appellera des hommes. Vous aurez une verge et pas de vagin. Du poil sous le nez et pas de seins. Pas de clitoris mais un anus dont vous devrez faire un usage limité à la défécation sous peine de déshonneur. Vous serez des hommes, vous serez indignés révulsés scandalisés offusqués on ne saura pas trop de quoi et vous non plus, vous demanderez justice réparation on ne saura pas trop de quoi et vous non plus, vous crierez vengeance, vous crierez égalité, vous crierez en avant et marcherez sur les capitales, chevauchant les steppes les plateaux nordiques les Rocheuses les savanes la baie de Somme, fauchant l'herbe si ras qu'elle ne survivra pas à votre faux, brûlant derrière vous les terres afin de les rendre éternellement incultes, pénétrant de force les maisons et leurs occupantes, pillant les églises les mairies les restaurants universitaires les minarets, distribuant une partie du butin aux habitants du village prochain, entrant dans la capitale en chantant votre triomphe certain, tirant des coups en l'air depuis le pick-up où la sueur conquérante de vos frères d'armes vous galvanisera, usant de vos machettes pour découper votre viande et tronçonner des petites filles, attaquant des palais d'Hiver des Bastille des lieux de culte kosovars et serbes, investissant et dévastant le Reichstag le Kremlin le Capitole le Tibet le Cachemire le bunker de Yasser Arafat, décrétant le pain pour tous l'étoile jaune pour tous la fin de la guerre le début d'une autre, coupant des têtes, coupant d'autres têtes, et d'autres têtes encore, et aussi des têtes et cætera enfin bref peu importe des têtes quoi. Ayant dit, le chef des embusqués historiques se tourne vers l'autre groupe et ainsi parle-t-il : vous, vous serez des femmes, vous n'aurez pas de verge mais un clitoris pour qu'on l'excise. Pas de poil dans le nez mais des seins pour allaiter et faire bander et qu'on les lèche. Vous aurez des mains fines pour confectionner des paniers d'osier, vous transporterez ces paniers sur votre dos jusqu'à la ville, autant de paniers que possible, en usant s'il le faut d'une charrette que vous tracterez au moyen d'une corde passée comme lasso autour de votre taille. Arrivées en ville vous tendrez ces paniers au pied des échafauds et recueillerez les têtes tombant comme friandise à la bouche d'un distributeur. Il y aura beaucoup de friandises. Des têtes, d'autres têtes, d'autres têtes encore, et aussi des têtes et caetera enfin bref peu importe des têtes quoi. Il y en aura de toutes les races, de toutes les couleurs, de tous les âges,vous les prendrez dans vos mains sales, les passerez sous l'eau pour qu'elles puent moins, et aussi pour les identifier sous la couche de sang séché qu'il faudra récurer. Vous pourrez ainsi donner un nom aux morts, que vous écrirez à la craie sur la planche verticale qui indolente hérissera leur tombe. Parfois ce faisant vous identifierez votre fils votre frère votre mari, vous pleurerez et embrasserez ce front et cette bouche tordus par la panique de mourir, et vous l'enterrerez avec un peu plus de soin que les autres, vous vous en voudrez de ce traitement de faveur mais le légitimerez par l'amour dont il se nourrira. Un jour le frère du mort ou son fils ou son cousin découvrira la tombe et lui à qui vous aviez fait croire que son frère père cousin avait disparu à sa propre initiative mystérieuse un beau matin d'avril, lui entretenu dans l'ignorance par votre amour nourricier découvrira la vérité. Il vous en voudra de l'avoir trompé, il vous secouera par les deux épaules, il vous giflera pourquoi pas et comme il ne pourra quand même pas vous tuer, il imaginera passer sa colère en réclamant justice réparation, en criant vengeance égalité en avant puis il marchera sur les capitales, chevauchant les steppes les plaines les Rocheuses les savanes, fauchant l'herbe si ras qu'elle ne repoussera plus, brûlant derrière lui les terres pour les rendre éternellement incultes, pénétrant de force les maisons et leurs occupantes, pillant les églises les mairies les restaurants universitaires les minarets, distribuant une partie du butin aux habitants du village prochain, entrant dans la ville en chantant son triomphe certain, tirant des coups en l'air depuis l'arrière du pick-up où la sueur conquérante de ses frères d'armes le galvanisera, usant de sa machette pour découper sa viande et tronçonner des petites filles, attaquant des palais d'Hiver des Bastille des lieux de culte kosovars et serbes, investissant et dévastant le Kremlin le Capitole tous les bunkers du Tibet le Cachemire le Reichstag de Yasser Arafat, décrétant le pain pour tous l'étoile jaune pour tous la fin de la guerre le début d'une autre, coupant des têtes, coupant d'autres têtes, et d'autres têtes encore, et aussi des têtes et cætera enfin bref des têtes quoi. Vous sa mère sa soeur lui aurez dit qu'il ne faut pas, qu'il ne faut plus, qu'il faut que cela cesse un jour, que vous ne supporterez pas un nouveau deuil, que vous en mourrez. Il aura dit que oui bien sûr ma sœur ma mère ma marraine ma cousine, il comprend bien ce que vous lui dites, il ne faut plus de violence c'est sûr et d'ailleurs il n'y aura plus de violence après que lui et ses camarades copains compagnons compatriotes coreligionnaires auront obtenu justice vengeance égalité réparation effacement de leur dette d'électricité. Disant cela, il sera déjà debout sur son cheval ou à l'arrière d'un pick-up dégoulinant de sueur armée, tirant une salve pour marquer son départ en criant je n'aime que toi ma sœur ma mère ma marraine, c'est pour ton honneur que je pars réclamer notre dû, et vous sa mère sa sœur sa marraine, dans la poussière soulevée par les bêtes à moteur ou sans moteur, vous crierez qu'il n'a qu'à cesser les échafauds s'il veut votre bien, que bientôt il n'y aura plus assez d'osier pour les paniers où recueillir les têtes, qu'elles soeurs mères cousines n'auront bientôt plus assez de larmes à donner aux pauvres morts.