"ça n'était plus une vie, je passais mon temps à avoir peur de tuer tout le monde." Comment Cyril, le narrateur, prof aux multiples fragilités mais au sens de l'observation particulièrement aiguisé, a-t-il pu en arriver là ?
C'est avec un humour toujours plus délicat, sans user de son goût prononcé pour l'absurde, que Fabrice Caro décrit les péripéties qui ont fini par amener son personnage chez un psychiatre.
En parallèle, il est aussi question pour Cyril de vider la maison familiale après le décès de sa mère, tarabusté qu'il est par son frère, apparemment moins touché que lui par cette "phobie de l'abandon transféré au moindre objet passé entre ses mains plus de deux minutes". C'est là que se mêlent à la perfection humour et tendresse : "Dans la perspective éminente de la fin, tout se mettait à revêtir une âme, le bocal de café soluble, les couverts, la salière, l'essoreuse à salade orange."
On se doit de souligner également l'acuité du regard que Fabrice Caro porte sur le comportement de ses semblables en pointant leurs petits travers, et ce sans jamais forcer le trait. Dans sa ligne de mire, pêle-mêle, entre autres, les bonnets de Noël sans lesquels on passe pour un bien morne personnage, la sempiternelle excuse des copies à corriger brandie par tout enseignant qui se respecte, le Prix Goncourt qu'on nous offre et qu'on ne lit pas, les inépuisables organisateurs patentés, la génération qui ne jure que par le smartphone, les pas très croyants pourtant adeptes du baptême ...
Un vrai régal qui s'enrichit encore à la deuxième lecture, un rituel pour moi à la parution d'un nouveau roman de Fabrice Caro.