Disons-le tout de suite: je hais les foules. Toutes les foules. Celles, joyeuses, qui braillent pendant les concerts ("Ah merde, j'entends plus la musique!"); celles, confites en dévotion, qui plient la nuque ou les genoux dans les temples; celles, hystériques, qui beuglent leur mépris des autres aux événements sportifs; celles, haineuses, qui gueulent des slogans aux meetings politiques; celles, bien rangées et uniformément vêtues, qui défilent au pas de l'oie; celles, conformistes, qui regardent défiler les précédentes..
Alors, qu'est-ce qui pouvait m'intéresser dans ce livre? De quoi me faire aimer la foule? Peut-être pas jusque là; mais je comptais sur l'optimisme naturel de Mehdi Moussaïd pour m'en transmettre une part. Opération réussie? Difficile à dire. Difficile à dire parce qu'en ce moment, les foules se font rares. Et lorsqu'elles parviennent à se réunir, c'est surtout pour signifier leur ras-le-bol de vivre en dictature policière (ou sanitaire, selon dans quel pays vous vivez), après quoi elles se font éradiquer par la plus injuste des foules: celle des uniformes bleus. Un cercle vicieux, dont la résolution aura peu de chances d'être pacifique et bienveillante.
Bien sûr, Mehdi est un scientifique; il n'a donc pas à se soucier de l'actualité (même s'il lui faut bien s'occuper d'événements précis). Il vise le long terme; les questions de fond; il cherche les lois causales, les règles secrètes de la foule humaine. Et comme il a une confiance inébranlable en l'humanité, il voit surtout le bon côté des choses; ou disons, leur côté améliorable (d'une certaine manière, on peut dire que Fouloscopie est le pendant contemporain de La Psychosociologie de masse du fascisme, de Reich; et c'est tant mieux). C'est ce qui rend son livre sympathique (en plus de l'humour omniprésent, du ton léger et du contenu novateur). Bref, l'idéal pour un ouvrage de vulgarisation.
Pourtant, une chose m'a chagriné tout au long de ma lecture. Non pas un défaut mais un manque. Un manque très léger, aussi subtil que la différence qui peut exister entre confiance inébranlable et confiance aveugle. Car l'auteur ne parle jamais des usages abusifs qui pourraient être faits de ses travaux. Nous connaissons bien, hélas, la propension des pouvoirs publics (militaires, policiers, politiques, technocratiques, bureaucratiques..) à récupérer les découvertes de la science pour en faire des instruments de domination, de coercition et de contrôle. Notre époque en regorge à un point caricatural devenu intolérable.
J'en suis donc venu, ayant fini ma lecture, à me poser cette question: à quel point l'auteur est-il conscient des limites périlleuses de sa discipline? En parlera-t-il dans un autre ouvrage (ou une émission YT)? Je le souhaite.