De toute beauté… Roland Barthes nous prouve encore une fois (comme si on en doutait) qu’il maîtrise la science du langage avec perfection. Il scinde l’état amoureux en plusieurs « symptômes », poétiquement nommés : à quoi reconnait-on l’amoureux ? « L’absent », « Être ascétique », « Agony », « Le cœur », « La dédicace », « Je suis fou », « Le vaisseau fantôme »… Ce qui m’a le plus marqué est la « déréalité » : sentiment que j’ai ressenti tant de fois, sans jamais parvenir à le nommer, à l’analyser, à le mettre en mot.
« Toute conservation générale à laquelle je suis obligé d’assister (sinon de participer) m’écorche, me transit. Il m’apparaît que le langage des autres, dont je suis exclu, ces autres le surinvestissent dérisoirement : ils affirment, contestent, ergotent, font parade : qu’ai-je à faire avec le Portugal, l’amour ses chiens ou le dernier Petit Rapporteur ? Je vis le monde - l’autre monde - comme une hystérie généralisée. »
« Je subis la réalité comme un système de pouvoir. […] Non seulement subir le pouvoir, mais encore entrer en sympathie avec lui : aimer la réalité ? Quel dégoût pour l’amoureux (pour la vertu de l’amoureux) ! Tant que je perçois le monde comme hostile, je lui reste lié : je ne suis pas fou. Mais, parfois, la mauvaise humeur épuisée, je n’ai plus aucun langage, le monde n’est pas irréel (je pourrais alors le parler : il y a des arts de l’irréel, et des plus grands), mais déréel : le réel en a fui, nulle part, en sorte que je n’ai plus aucun sens (aucun paradigme) à ma disposition ; je n’arrive pas à définir les relations avec Coluche, le restaurant, le peintre, la Piazza del Popolo. Quelle relation puis-je avoir avec un pouvoir, si je n’en suis ni l’esclave, ni le complice, ni le témoin ?”
GÉNIE ? Que dire de plus ? Roland Barthes, grand linguiste français du 20ème siècle.