C'est douloureux à dire, mais c'est bien le meilleur des romans de la Comtesse de Ségur. J'aimerais dire « de loin », mais ce serait oublier les Vacances et Après la pluie le beau temps.

La comtesse de Ségur, ça s'adapte au cinéma, bien sûr. Et pas en téléfilms gentillets à la Brialy. Il faut une vraie patte. Je dirais un petit nuage de Minnelli, le côté coloré, endiablé, qui fleure bon les fruits et la glace à la crème. Un léger zeste rohmerien. La jeunesse, la grâce, l'analyse du sentiment, la pureté de la langue. Et une cuillérée de Hawks, pour l'amitié, et le rapport au temps.

François le Bossu invente et réinvente ce microcosme parfait, rêvé par Rousseau, des «amis choisis ». L'héroïne, Christine, se voit délaissée par ses parents. Elle se plaît dans la compagnie de ses nouveaux voisins, Mr de Nancé, et son fils François. Ce dernier, malheureusement affligé d'une vilaine bosse, est le plus gentil et le meilleur chrétien des petits garçons. Avec eux, le temps se rallonge indéfiniment. Les parents de Christine partent en Martinique deux ans, en confiant leur fille au père de François. Ils reviennent, ils repartent à Paris, ils reviennent... Et ainsi de suite. Chaque nouvelle absence, qu'elle soit d'une après-midi, de six mois, ou de plusieurs années, consolide l'amitié de François et Christine. La propriété des Nancé devient le lieu d'un retour à la nature, où les minutes s'écoulent avec la même divine monotonie. Christine et François n'ont rien à envier à Paul et Virginie. Les voisins ? Gênants. La ville ? Bruyante. La délicatesse des sentiments grandit à l'abri du monde et de ses futilités, dans ces grandes propriétés ombragées. La Comtesse de Ségur sait suggérer. Jamais de descriptions, ou presque. Il faut tout imaginer, et c'est tellement facile...

Bien sûr, quelques péripéties, et pas des moindre, pour parfumer le tout. Certes, les scènes d'intimité sont les plus belles, et Hawks aurait adoré. Mais s'il y a des drames dans le roman -le renvoi d'une bonne, un incendie, un accident, une mort- ça n'est pas pour rien. Chaque évènement donne, dans le petit monde enfantin, matière à réflexion. On croirait que Voltaire parle de la Comtesse et non de Marivaux lorsqu'il dit de ce dernier qu'il « pèse des œufs de mouche dans des toiles d'araignée ». C'est si précis, si fin, si délicat. Suis-je sûr d'aimer vraiment ? Suis-je sincère envers moi-même ? Comment savoir si mon âme est bonne ? C'est la quête de la transparence qui émerveille les héros de la Comtesse, et on sent souvent Rousseau pointer le bout de son nez. La langue des personnages navigue entre le XVIIème siècle, pour la concision et la densité, et le XVIIIème, pour le plaisir des larmes. Elle veut traduire le plus exactement possible les moindres mouvements du cœur. Qu'est-ce qu'on pleure dans ce roman ! Et on adore y pleurer, pour ensuite se consoler, et manger un gros goûter avant d'aller faire un peu de piano ou de jardinage.

François le Bossu est aussi le plus cruel des romans de la Comtesse. Les enfants méchants y sont punis sans rédemption. L'infortuné Maurice s'était moqué de la bosse de François au début du roman. Il finit le corps déformé, et meurt dans la souffrance, après s'être repenti, quand même. C'est une histoire de grâce. On l'a, ou on ne l'a pas.

Une seule chose à regretter, une méchante petite fille qui a la mauvaise idée de s'appeler Hélène. Elle finit mal mariée, futile et dépensière, et est exécutée en quelques lignes à la fin du roman. Quelle idée de choisir ce prénom pour un tel destin. A part ce détail, le bouquin est parfait.
Hélice
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le 18 mai 2011

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