Le plafond de verre...

"Bienvenue chez la famille Glass" nous dit en gros l'auteur de ce livre. Car l'auteur fictif de ce livre est lui-même membre de la famille. Quant à l'auteur de "l'auteur", ma foi, il s'agit de J.D. Salinger , un des écrivains fétiches de l'Amérique, avec son "Catcher in the Rye".
Franny et Zooey est un diptyque. Le premier chapitre , "Franny", est une nouvelle qui nous raconte la crise existentielle d'une étudiante, qui, au détour d'un rendez-vous avec son amoureux, semble soudain perdre tout intérêt pour lui, les études de théâtres, l'université et surtout les egos de tous. Elle transporte avec elle un petit livre de spiritualité chrétienne qui semble l’entraîner dans une chute nihiliste. Cette nouvelle est étonnante par son côté cinématographique, et la lire revient à devenir l’œil d'une caméra sur l'épaule qui suit d'abord le jeune homme sur le quai d'une gare, puis le couple dans un café et enfin la jeune fille dans les toilettes de ce café... Je ne sais comment le dire, mais l'immersion est parfaite. Il est vrai que les dialogues de Salinger sont plus vrais que nature, sa description des petits gestes fait vivre la scène de manière convaincante. Le fond de l'histoire ici reste par contre mystérieux: Franny s'évanouit.Fin.

Heureusement il y a le deuxième chapitre , trois fois plus long, presque un petit roman, dont le titre est, vous l'avez deviné, "Zooey" (Zachary, qui est acteur à Hollywood). Ce chapitre se passe deux jours plus tard (je crois) dans la maison des Glass, une famille assez extraordinaire dont les sept enfants ont tous été extrêmement précoces, et sont tous passés dans la même émission-jeu de radio " The Wise kids". C'est à la rencontre des Glass que nous convie ce chapitre, en même temps qu'à une petite résolution du mystère introduit par le court " Franny".
Ce roman se passe entièrement dans trois pièces de l'appartement familial à New York. La moitié du roman est une conversation dans la salle de bain entre Zooey et sa mère. Culotté de la part de Salinger de nous faire poiroter dans la salle de bain, tandis que que Zooey prend son bain ou se rase sous le feu roulant des questions de sa mère, inquiète pour sa fille.... Et pourtant on écoute, petite mouche sur le plafond, ce dialogue simple entre une mère et son fils, ce fils trop cynique, trop intelligent pour son propre bien. En le lisant j'avais le sentiment de sentir l'humidité dans l'air. On apprend beaucoup sur cette famille, ces frères adultes suicidés ou mort à la guerre, ces gamins trop savants et leur radio-show, cet amour des lettres et de la culture qui suinte dans ce livre.

Nous faisant passer au salon, on retrouve Zooyey qui essaye (maladroitement) de tirer les vers du nez de Franny au sujet de son évidente dépression. Il s'ensuit un incroyable dialogue qui va tourner autour du sujet de la "prière incessante", d'une espèce d'épiphanie mystique matinée de sagesse orientale, et de jugements acerbes sur le caractère des uns et des autres. Bon , le propos religieux m' a laissé indifférent, (surtout une grotesque réalisation sur le Christ à la fin du livre...), mais la complexité de ce microcosme familial est rendue de manière impressionnante. Etonnante lecture, sans action autre qu'une longue série de cigarettes et de cigares partant en cendre..(et une page entière de citations !)..

Bien aimé donc cet exercice de huis clos, bavard et complexe, qui vous donne le sentiment d'avoir assisté à un moment intime de la vie d'une famille pas si fictive que ça. Très beau travail d'écrivain. Je vous recommande, (avec prudence car c'est assez spécial).