Objet particulier, ce livre n’est pas une œuvre complète, et on ne pourrait même pas dire qu’il contient une œuvre partielle. Ce sont plutôt des fragments de projets, de réflexions, d’idées éclatés et annotés. Sans connaître au minimum Les Fleurs du Mal, l’expérience serait donc assez aventureuse. Le lecteur est cependant plutôt bien guidé. Nous avons d’abord une introduction d’une quarantaine de pages, puis l’ensemble des feuillets de Baudelaire richement annotés. Là, il va falloir se préparer à jongler toutes les lignes entre le début et la fin de l’ouvrage pour saisir toutes les références, le corps analytique faisant le même nombre de pages. Baudelaire mentionne un certain nombre d’auteurs, de textes qui l’obsèdent les dernières années de sa vie, et il est agréable de retrouver également une sélection d’extraits pour les moins connus qui l’ont inspirés, ainsi qu’une chronologie biographique basée sur sa correspondance.


Beaucoup de maximes, de déclarations de l’auteur sont assez connues – familières des sites et recueils de citations – pour qu’on ne fasse pas d’immenses découvertes. Un certain nombre d’éléments se répètent aussi, en soulignant ses obsessions. Pour aborder Fusées, Mon coeur mis à nu et autres fragments posthumes, il faut donc s’intéresser à l’homme derrière le poète, à ses idées et engagements. Ce n’est pas toujours très beau à lire. Baudelaire est un auteur brillant, et un personnage qui va de l’ambivalent au détestable, parfois même au risible. Tous ses projets inachevés auraient-ils mérités d’aboutir ? Avec ce livre, je me suis souvent fait la réflexion que ce manque à sa bibliographie, quoique navrant pour lui, n’est peut-être pas une grande absence dans la littérature. C’est un homme centré sur lui-même que l’on découvre, raillant Rousseau tout en rêvant d’écrire à son tour ses Confessions, en mieux bien sûr, pour se venger de ses détracteurs, apaiser son orgueil blessé, prouver au monde à quel point il est Différent. J’ai toujours quelque sourire pour les personnes qui se représentent en grands sensibles, exceptionnels devant l’éternel. Et souvent, leur problème est le même que celui de Baudelaire : les jugements illogiques, contradictoires, basés sur un ressenti qui se veut absolu et devient assez pénible quand il y mêle ses réflexions misogynes ou son tempérament profondément catholique. Mais nous le lui accorderons, puisqu’il assume un plaisir de se contredire. (Postulat bien pratique diront certains !)


Et, après tout, n’est-ce pas son côté sanguin qui a permis à nombre de citations de ses œuvres inachevées de circuler malgré tout ? Baudelaire a la critique, la rébellion facile ; ce qui transforme plusieurs de ses déclarations en saillies délicieuses pour passer outre nos contrariétés. Alors j’ai goûté à ce plaisir coupable aussi, celui d’être parfois en profond désaccord avec lui, en déplorant sa paresse intellectuelle sur certains sujets et, en applaudissant les affirmations cyniques tout aussi catégoriques sur lesquelles nous tombions d’accord.


Ce n’est pas le livre qui fera aimer Baudelaire. Pour apprécier ses qualités littéraires, des œuvres complètes sont plus adaptées, et pour apprécier l’homme, il faudrait une biographie plus compatissante. Je pense d’ailleurs en avoir eu une meilleure impression à la lecture du chapitre que Georges Bataille lui consacre dans La Littérature et le Mal. Ici, le rapport est plus intime, plus neutre, c’est ce que j’ai apprécié. L’auteur s’exprime, les notes permettent de situer. Cela demande une certaine motivation mais j’ai aimé le sentiment d’être confrontée au poète d’une manière assez brute, ce qui m’a permis de me faire des avis assez libres, et souvent de m’interrompre pour y méditer seule.


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Barbelo
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le 6 avr. 2016

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