L’ambition de Tournier dans ce roman entre récit initiatique, Histoire, légendes et pure fiction, est d’apposer visages, âges, âmes et finalement destins sur trois figures fondamentales du récit de la nativité du Christ, figures fréquentes en peinture mais rares en littérature depuis leur origine plus que fragmentaire dans l’Evangile selon saint Matthieu : les trois rois mages.
Ce récit déroule donc le portrait de trois hommes dissemblables à travers trois histoires marquées par une souffrance différente, trois voyages qui se rejoignent, mais plusieurs interprétations intéressantes se rajoutent à cela ; sur la Genèse, avec la possibilité d’un Adam noir, la place de l’art dans la religion, l’alimentation, le traitement réservé aux animaux dans les anciens rites, réflexions disséminés çà et là sur la condition humaine avec des sujets comme la liberté, le pouvoir, l’amour…
Un quatrième roi mage apparait, venu d’Inde, et développe un parcours plus sombre mais tout aussi original.
Réécritures et relectures, tel est le programme : cependant, il s’agit avant tout d’un texte riche en images, pictural et presque cinématographique, et c’est l’inventivité déployée à cet égard qui me parait être sa principale qualité car en réalité beaucoup des réflexions métaphysiques ou spirituelles qu’il contient ne sont ni neuves ni approfondies. Parmi quelques-unes des images plus originales qui peuplent ce livre, je pense à la comète dorée, à l’éléphante Yasmina sur son lit de roses, aux arbres baobabs qui sont aussi ces éléphants végétaux et divinisés, aux hommes rouges de Sodome et à son eau salée qui fait saigner la peau, le papillon du palais de Nippur, le rahat loukoum à la pistache ainsi que le banquet de sucre sous les cèdres… Ces détails colorés, divers et faisant appel à tous les sens sont charriés par une écriture dans laquelle chaque substantif a son épithète, ou presque.
L’immersion n’est pas aussi totale qu’elle pourrait l’être à cause de la lourdeur du style : outre des passages emphatiques faussement épiques, lyriques de façon superficielle, présents parfois pour exploiter jusqu’au bout semble-t-il telle ou telle opportunité langagière, il y a des effets de retardement ou de répétition un peu trop appuyés puisque la symbolique employée par Tournier est par ailleurs limpide, presque primaire. Chaque symbole est explicité dans des développements qui figurent peut-être la longueur du voyage dans le désert. Cela pourrait-il seulement s’expliquer par la vocation initiatique, contique et donc naïve de l’écriture ? Il s’agit d’une tendance : plusieurs passages sont véritablement plus profonds et plus beaux que d’autres, mais trop peu sont à la fois pertinents et concis.
Quant à certaines idées à proprement parler, certaines m’ont semblé pour le coup manquer vraiment de rigueur : pourquoi dire qu’Adam peut être noir et ensuite affirmer qu’il est en revanche impossible d’imaginer, ce qui serait pourtant logique, une Eve noire ? Autre exemple typique de misogynoire ? Quant à la réhabilitation d’Hérode par renversement de sa position de tyran en position de victime… On va dire que je suis nulle en Histoire et qu’après tout cette vision a d’autres intérêts. Le meurtre de Marianne n’en est pas moins fortement romantisé. En plus d'un style assez lourd, d'autres réflexions du même genre ont pu m'empêcher d'apprécier le reste à sa juste valeur ; d’où ma note. Pour synthétiser mon avis : à lire pour la beauté de certaines images et pour l’ambition de raconter ce qui a seulement été peint, si l’on s’intéresse à la naissance du christianisme ou aux rois mages en l’occurrence, mais pas pour un style que l’on vend comme incroyablement splendide, car il a ses qualités, ses défauts, et le tout demeure plutôt long.