Incontournable Août 2022



Enfin un album divertissant sur la variété corporelle! J'en ai vu quelque autres auparavant, mais leur traitement me revenait moyennement, alors qu'ici, j'aime beaucoup.



Gloria est bien des choses. Une amatrice de danse, une personnalité solaire, une curieuse qui cultive son merveilleusement, bref une jeune fille attachante. C'est aussi une jeune fille aux formes généreuses et arrondies, qui lui valent, un beau jour, le qualificatif de "grosse". Ça semble faire rire certains de ses camardes de classe, d'ailleurs. Quand elle interroge sa mère à ce sujet, Gloria se fait dire qu'elle est simplement plus "enrobée". Oui, mais enrobée de quoi? "Enrobée de plus de Gloria", qu'elle lui répond. Mais ce ne semble pas suffisant comme explication pour la curieuse jeune fille, qui va demander à sa voisine, un personnage assez "funky", plus d'explications. Celle-ci lui propose de demander à une amie habitant la rue. La dame en question lui raconte alors que lorsqu'on a créé les humains à partir d'une sorte de catalogue de formes. On n'avait pas que deux moules, un pour les gars et un pour les filles. En réalité, il y en a près de 10 000! Des humains trapus, larges, filiformes, en forme de sablier ou de triangle ou de tonneaux, avec des nez, des fronts, des mains de diverses tailles, de couleur variés aussi, etc. Il y a des milliers de formes qui se valent toutes. Quand Gloria retourne voir Rodrigue, celui qui l'a traitée de grosse, elle prend la peine de lui faire savoir qu'en effet, elle a été moulée dans un "gros" moule. Sans doute surpris par cette vision des choses plutôt équitable, Rodrigue lui demande si par hasard, dans "le livre des moules à humains" il n'y aura pas un moule avec de gros sourcils...



Deux choses essentielles à retenir ici. Primo, il faut accepter la diversité corporelle pour la richesse et la naturalité de ce qu'elle représente. Facile à dire quand on est soit même dans un "Moule" très primé par la société, certes, mais néanmoins, cela nous concerne tous. le "Moule idéal" est inatteignable, tout simplement parce que c'est un concept marketing conçu pour ne pas être atteignable. Comment pourrait-on commercialiser l'idéal corporel autrement? Nous avons laissé les compagnies dicter ce qui est "beau" de ce qui ne l'est pas à propos de choses sur lesquelles nous n'avons pas de contrôle. À moins que de chirurgies radicales ou d'éventuelles percées en génétique.



Aussi, ceux/celles qui prétendent que la taille ronde est moche, réfléchissez au fait qu'à une époque, les tableaux d'arts se remplissaient des corps féminins les plus généreux. Ils étaient désirables et considérés "magnifiques". Chaque époque connait ses canons esthétiques propres et la silhouette n'en est qu'une partie. C'est donc, en résumé, un pur construit social, un concept créé par l'Homme. Rendre les gens malheureux au nom d'un concept aussi peu logique et changeant est par conséquent malsain et a des conséquences néfastes que nous connaissons tous: biais corporels, troubles alimentaires, baisse de l'estime de soi, discrimination, rejet social, etc. Il va bien falloir insister pour se défaire des vieux idéaux corporels archaïques et toxiques que prônent les industries comme celle des mannequins, du cinéma, du sports ou des arts comme la danse. Il va bien falloir considérer les diverses formes comme autant de beautés à célébrer, puisque les humains sont diversifiés sur tant de niveaux. Mais surtout, il va falloir cesser de mettre la pression à changer le seul corps que nous allons avoir durant notre vie.



D'ailleurs, cela ne concerne pas que la forme "Arrondie", mais aussi les complexes corporels. Nous en avons un exemple avec Rodrigue, qui est visiblement complexé par ses sourcils. Les gars ne sont d'ailleurs pas épargnés par les complexes physiques. J'observe souvent que même les plus "belles" personne, c'est-à-dire les plus correspondantes aux canons esthétiques promulgués par notre société, sont autant des victimes des idéaux à attendre. Ils sont souvent eux-même complexés et leurs complexes sont alors banalisés et même réprouvés par les autres, qui ne conçoivent pas qu'on peut vivre de la détresse quand on est "physiquement attractifs". Détrompez-vous. N'oubliez pas que la détresse est dans la tête et le regard qu'on pose sur soi n'est pas celui que les autres posent sur nous. L'enjeu de la diversité corporelle est donc beaucoup plus étendu qu'on veut bien le croire. L'erreur que nous faisons est de croire que cela ne concerne que les gens qui sont hors-norme, alors que ça peut toucher tout le monde.



Secundo, j'observe que cet axe avec les "moules d'humains" n'aborde pas la question de la prise ou de la mauvaise gestion de poids. Ce que je veux dire, c'est que pour une rare fois, on ne fait pas de lien de cause à effet entre manger et être "gros". Bien sur que pour certaines personnes, il y a un lien à faire, souvent devenu une mauvaise façon de gérer l'anxiété ou un manque affectif, ou tributaire à une maladie ou même un effet secondaire de médicament... Les causes d'embonpoint sont très multiples. Néanmoins, dans bon nombre de cas, la question n'est même pas là. Dans bon nombre de cas, la personne est "taillée" ainsi.



Or, qu'observe t-on dans la société par rapport aux gens de forte taille? Elles/Ils représentent le "Avant" des régimes, le corps à ne surtout pas tolérer et qui doit être aminci. Celui qui dégoute. Elles/Ils représente la paresse dans les archétypes de personnages, les gens moins éduqués et moins propres. Elles/Ils représentent les gens qui aiment la bonne chère, comme le Père Noël. Et même les vilains, comme Ursula, la Reine de Coeur ou Radcliff, dans l'univers Disney. Ils sont littéralement sur-représentés dans les célibataires, en littérature ado. Elles/Ils sont absents des concours de beauté, des archétypes comme celui de la princesse/prince, de la guerrière/guerrier, de la sportive/sportif, mais abondent dans celui de l'Intello/Geek et de la maladroite/maladroit. Nos représentations des gens "ronds" sont péjoratives, associés à des concepts honteux. à des qualificatifs eux aussi perçus négativement comme l'intelligence, la douceur ou l'introversion, et par conséquent exercent une énorme pression sur ceux et celles qui ont ce format, ce "moule". La tendance est au changement, heureusement.



En gros ( sans jeux de mots), on a BEAUCOUP de travail à faire collectivement pour déconstruire les stéréotypes tenaces entourant le corps humain. Ici, ce que j'apprécie, c'est qu'en parlant de moules, on inclut tout: toutes les formes et tous les complexes.



Aussi, je constate que Gloria est un très sympathique personnage enrobé. Elle est associé à des qualificatifs positifs et plutôt que de sombrer dans la déprime dès que le mot "grosse" est évoqué, elle tend vers la réflexion. Elle cherche à comprendre, plutôt que d'intégrer aussitôt le commentaire de Rodrigue comme seule vérité. Elle a une bonne estime d'elle-même: elle ne construit pas sa vision d'elle-même par le regard des autres et ne se laisse pas démolir par les autres. Elle n'a pas à le faire, c'est une jeune fille géniale, pleine de qualités! Des Gloria, on en mérite plus, nos filles ET nos garçons en méritent plus. Ils méritent des représentations diversifiées et aussi de comprendre que les filles comme les gars ne se jugent pas à leur silhouette...surtout qu'on ne choisi pas son moule à la naissance.



Côté illustrations, elles sont simples, dans le sens d'épurés ou avec peu de décors. Les couleurs sont vibrantes et le trait est arrondi comme Gloria. Et la grand-maman funky est géniale. Les deux dames d'âge murs également. J'adore quand on exploite les adultes et aînés dans des formes dynamiques et stylées, loin des traditionnelles représentations comme celle de vieux débris grabataires à moitié sourds. Nos "vieux" aussi méritent d'être célébrés dans leur diversité.

Enfin, j'observe une réelle bienveillance parentale de la part de la maman et de la voisine envers Gloria. Il n'y a pas de propos culpabilisants comme "si tu bougeais plus" ou "si tu mangeais moins", ce genre de commentaires qui est dénigrant. Il y a aussi le fait que pour la maman, sa fille n'est pas moins normale que les autres. Bref, ça respire l'affection et le respect.



Pour un lectorat à partir du premier cycle primaire, 6-7 ans+.

Shaynning

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