Dans le futur proche, le Royaume-Uni est devenu un régime totalitaire sous couvert de démocratie directe. Si les citoyens sont consultés régulièrement et directement sur toutes sortes de sujets, le pays est dirigé par le Système, une Intelligence Artificielle omnipotente aidée du Témoin, un système de surveillance totale de la population utilisant les caméras de vidéo-surveillance et tous les objets connectés.
Diana Hunter, une dissidente qui refuse cette surveillance généralisée, autrice de mystérieux et introuvables romans, meurt lors d’un interrogatoire pendant lequel on extrait sa mémoire. Mielikki Neith, inspectrice du Témoin, est chargée d’enquêter sur ce décès qui devient l’affaire Gnomon, nom choisi aléatoirement par le Témoin. Elle va charger dans son esprit la mémoire d’Hunter pour la parcourir et découvrir d’éventuels indices. Mais c’est là que tout se complique ; cette mémoire contient les souvenirs de plusieurs personnes : Constantin Kyriakos, un trader grec qui a fait fortune lors de coups boursiers qui lui ont été indiqués mystérieusement et qui a rencontré un grand requin blanc ; Athénais Karthagonensis, une alchimiste du 5e siècle, maîtresse de Saint Augustin, qui découvre un meurtre impossible ; Berihun Bekele, un artiste éthiopien retraité qui participe dans les années 2000 à la création d’un jeu vidéo au succès planétaire.
Qui sont ces gens ? Ont-ils vraiment existé ou ne sont-ils dans la mémoire d’Hunter que pour dissimuler autre chose ?
Voilà, succinctement, comment débute Gnomon. Plusieurs récits de personnages radicalement différents dans lesquels l’inspectrice Neith et le lectorat devront trouver les points communs, les motifs récurrents, déchiffrer les énigmes, rassembler les informations comme les pièces d’un puzzle. Car l’auteur est joueur : il commence le roman par une page de codes à déchiffrer (il précise heureusement par ailleurs que ce n’est pas nécessaire à la compréhension du roman), il fait traverser une cotation en bourse d’une série de chiffres 4 comme un aileron de requin découperait la surface de l’océan, il corse l’un des récits d’un meurtre en pièce close à la manière d’un whodunit et il dissimule certainement beaucoup d’autres éléments que l’on ne remarquera pas forcément à la première lecture.
Il ne faut pas avoir peur d’être perdu par moment dans ce récit labyrinthique, dans ces extractions de mémoire parfois peu claires et qui ne livrent pas toutes leurs clés dans cette première moitié de cet énorme roman : Gnomon aborde énormément de sujets, de la société totalitaire et sa surveillance globale à la création artistique en passant par la fragilité de l’économie financiarisée ou le panthéon grec antique.
Il est pour l’instant, au bout de ce premier tome, difficile de deviner vers quoi se dirige ce récit touffu et énigmatique. Les différents fils de l’intrigue commencent à apparaitre, les liaisons entre les récits pointent mais on sent qu’il reste encore beaucoup à découvrir et que l’auteur n’a pas fini de nous surprendre. Une chose est sûre : c’est à une expérience de lecture unique et exaltante que nous participons. Il n’y a plus qu’à espérer que la deuxième partie du récit soit au même niveau.