En Angleterre aux alentours de l’année 1800, Westfield, un riche bourgeois sujet à des insomnies insurmontables, emploie un écrivain juif, Goldberg, pour que celui-ci lui fasse la lecture, et l’aide ainsi à trouver le sommeil. Mais à l’arrivée de Goldberg dans sa propriété, Westfield modifie les règles, exigeant que l’écrivain lui fasse la conversation, puis qu’il écrive pour lui un texte qui l’apaisera et l’entraînera vers le sommeil, lui qui a déjà tout lu. Surpris par ce changement inattendu et par une exigence de création qui lui est imposée, Goldberg est à la peine, en panne d’inspiration.
«J’ai invariablement trouvé que, lorsque je n’arrive pas à trouver de sujet, lorsque le fil indéfinissable dont je parlais reste obstinément caché à ma vue, il existe alors une technique qui me permet peut-être de le faire apparaître.
-Et cette technique, Mr Goldberg ?
-Cette technique consiste à cesser de chercher des thèmes ou des sujets et de commencer par la situation réelle dans laquelle je me trouve. S’il se trouve que c’est un labyrinthe duquel il ne semble pas y avoir de sortie, cela deviendra mon thème. Si c’est la quête frustrante d’un sujet qui refuse de se montrer, alors ce sera mon thème. Est-ce que je me fais bien comprendre, monsieur ?»
Inspiré par les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, composées pour endormir le riche Dresdois Herr von Keyserling, Gabriel Josipovici ne va cesser lui aussi de changer les règles et formes du récit, pour nous entraîner à sa suite dans trente variations, à l’intérieur et aux extérieurs du livre que Goldberg tente d’écrire pour Tobias Westfield, puis autour du personnage d’un deuxième écrivain, lui contemporain, également en proie aux affres de la création littéraire.
Comme dans Moo Pak, mais avec une structure foisonnante de mises en abîme, dans laquelle les motifs se répondent avec des échos souvent inattendus mais jamais gratuits, «Goldberg : Variations» évoque des myriades de choses, reflet des préoccupations de l’auteur sur le langage, l’écriture et le passage du temps, ou finalement comment écrire un livre qui n’impose pas de sens au lecteur, dans une vie dont le sens reste lui aussi ouvert.
«Le problème avec toi, dit Ballantyne, est que tu as toujours eu soif d’histoires. La vie tragiquement interrompue est une histoire, et la vie achevée avec satisfaction est une histoire, tout comme l’est la vie de l’insomniaque qui s’endort en étant bercé par une douce musique. Tu n’as jamais accepté de faire face au fait que la vie n’est pas une histoire, que poètes, romanciers et dramaturges nous mentent depuis l’aube de la création et qu’ils flattent nos peurs et nos désirs.»
Lecture d'une grande jouissance, «Goldberg : Variations», paru en août 2014 chez Quidam éditeur, est la démonstration brillante qu’une somme peut être infiniment supérieure aux trente histoires passionnantes qui la composent.