Cybertraque de tempêtes...
"Gros temps" est un roman plutôt accessible pour aborder le cyberpunk, même si son sujet, la traque d'une tornade de dimension inédite par un petit groupe déterminé, est un peu à part.
- Dire que les tornades sont le personnage principal du roman est tentant, mais n'est pas tout à fait vrai, mais le vocabulaire employé pour décrire les changements de temps est très précis, et même si l'on ne comprend pas tout, on visualise assez bien. Il faut souligner le travail encore une fois impeccable de Jean Bonnefoy comme traducteur : il est allé jusqu'à rédiger un appendice sur les tornades assorti d'une bibliographie.
- L'histoire suit deux personnages, Jane Unger et son frère Alex. Jane fait partie du Stormfront, un groupe de scientifiques qui vivote et traque les tornades pour récolter un maximum de données sur elles. Le leader, Jerry Mulcahey, est aussi le grand amour de Jane. Alex, lui, est un jeune oisif immature qui souffre d'une malformation génétique des poumons. Lié avec les narcotrafiquants de la frontière, il va dans une clinique qui lui propose une sorte de nettoyage en profondeur des poumons. Jane l'en fait sortir de force et l'amène au camp du Stormfront, où a priori Alex n'a pas sa place. Et il y a aussi le frère de Jerry, Leo, un double maléfique qui tourne autour du camp.
- L'action se déroule entre le Texas et l'Oklahoma. On suit principalement les pérégrinations du groupe semi-nomade. Il y a beaucoup de moments intimistes qui donnent à voir de l'intérieur la vie d'une petite communauté, avec ses règles tacites en fonction des affinités de chacun, et beaucoup de petits moments quotidien, comme retaper un Ulm avant la prochaine opération tout en taillant la discute, etc... Chaque membre de l'équipe a une individualité, dont on a un aperçu plus ou moins profond. Comme Alex, personnage plutôt antipathique, le lecteur se prend à aimer cet environnement étrange.
- Il y a des traits cyberpunks. Au niveau des gadgets, des lunettes de R. V. assorties de datagloves, mais aussi des véhicules aux armatures de diamant synthétique, et Charlie, une sorte de rover biplace tout-terrain fort attachant. Au niveau politique, les Etats-Unis ont connu un moment de grande crise à l'issue duquel les monnaies nationales sont entrées en concurrence avec des monnaies "privatisées", inaccessibles au plus grand nombre et à la durée de vie incertaine. Le droit d'auteur n'existe plus. La police ne maîtrise plus la frontière, ce qui ne l'empêche pas d'être fascisante. Les ouragans se multiplient, et l'on voit l'apparition de réfugiés climatiques, ainsi, perversion, de "dingues des catastrophes" qui trouvent un équilibre dans les situations où l'on donne une aide d'urgence. Il y a aussi des groupuscules, comme les déconstructeurs, des terroristes qui visent les infrastructures modernes. Et les virus se multiplient. De manière générale, la génération d'Alex et Jane paie les pots cassés pour nos bêtises, et on ne les envie pas.
- Il y a peu d'action, mais la scène de l'apparition de la F6 ne déçoit vraiment pas. L'écriture de Sterling, dans cet opus, est très visuelle. La fin tient vraiment en haleine, même si l'épilogue, sorte d'éloge de la famille recomposé, est assez inattendu, apaisé et nostalgique.
On a donc un roman cyberpunk sur les tempêtes plutôt nerveux dans sa première partie, puis plus descriptif, jusqu'à une scène finale marquante. Pour des questions de rythme et d'ambition du message, ce n'est pas le meilleur roman de Sterling mais il vaut un détour.