C'est avec une grande stupeur que j'appris l'existence de ce livre. Ouvrant la Carte et le Territoire, j'aperçus en haut de la liste des "œuvres du même auteur" cet ouvrage : "H.P. Lovecraft, contre la vie, contre le monde". Quel pouvait être le lien entre le maître de l'horreur cosmique et le chroniqueur du libéralisme effréné ? J'étais curieux, et même séduit par l'idée.
Ce n'est que quelques années plus tard que je décidai enfin à mettre la main sur ce bref ouvrage.
Ce qui frappe au premier abord, c'est la passion de l'auteur pour son sujet. Dans ce "roman à un seul personnage", Houellebecq ne fait rien d'autre qu'ajouter son offrande à l'autel de la mythologie lovecraftienne. Oui, le reclus de Providence était bien cet homme apathique et raciste, méprisant la vie et l'époque qui l'a vu naître. Cet homme torturé qui ne connût le bonheur que brièvement.
Mais il serait malhonnête de résumer ce livre à une énième redite biographique.
De cette lecture, on sort changé. Peut-être vous résignerez-vous comme Howard et Michel. Mais peut-être aussi - sûrement - vous (re)plongerez-vous avec appétit dans la cosmogonie terrifiante des Grands Anciens, traquant chaque détail, soulignant chaque effet de style. Voilà donc le tour de force de Houellebecq : parvenir, dans cet essai passablement déprimant, à donner envie. Donner envie de lire. Donner envie d'écrire. Et surtout, à donner envie de "rester vivant".
Lovecraft a été toute sa vie le prototype du gentlemen discret, réservé et bien éduqué. Pas du tout le genre à dire des horreurs, ni à délirer en public. Personne ne l'a jamais vu se mettre en colère ; ni pleurer, ni éclater de rire. Une vie réduite au minimum, dont toutes les forces vives ont été transférées vers la littérature et vers le rêve. Une vie exemplaire.