Il te cloue, Houellebecq.
De Houellebecq je n’ai rien goûté ; si ce n’est au spectacle mi navrant, mi fascinant, presque pathétique, de le voir se soumettre à l’exercice apparemment pénible de l’interview.
Soit, particules élémentaires ou non, possibilité d’une île peut être, mais Lovecraft assurément.
L’essai a du mérite. D’abord, il date de la fin des années 80, époque à laquelle Cthulhu n’était pas décliné en T-SHIRT pour fille, ne figurait pas d’excuse à l’indigence imaginaire du premier tâcheron se réclamant du cinéma d’horreur (hormis Gordon et Carpenter, pas grand chose de sincère à l’époque), et donc se trouvait motivé par tout autre chose qu’une facilité de sujet encline à une quelconque rentabilité éditoriale.
Plus qu’un sujet de passion, un sujet pour un écrivain admirateur ; un essai partisan, presque un pamphlet.
Mais Houellebecq admire Lovecraft, et en ce sens ne cherche aucunement à convaincre. De la même façon que l’auteur de Providence triait ses lecteurs dès les premiers paragraphes, Houellebecq annonce la couleur : il admire Lovecraft, tout autant qu’il admire son œuvre. Que les détracteurs et les incultes —mot choisi à dessein— passent leur chemin, et que les partisans partagent le plaisir de disserter sur l’auteur.
En ce qui me concerne, le plaisir a été clairement partagé. Autre mérite de l’essai : la clarté de la prose, la simplicité du vocabulaire pourtant utilisé de façon à exprimer les sentiments provoqués par l’œuvre de HPL avec beaucoup d’acuité, faisant aussi transparaitre le regard tendre que porte Houellebecq sur l’écrivain. Voilà aussi une presque biographie découpée avec soin et rythme, assurant un intérêt constant et croissant du lecteur à la manière des reportages les plus captivant.
Évidemment c’est un fan de Lovecraft —un partisan, donc— qui en parle. Mais au delà de tout ce qui a attrait au mythe littéraire (le mythe de Lovecraft, et non « Mythe de Cthulhu » qui est un terme incorrect), c’est aussi et surtout l’aura et la personnalité de l’écrivain qui me fascine. Houellebecq a su, malgré la synthèse dont il a dû faire preuve, en brosser un portrait aussi fugace que vif que non exhaustif ; une vie et un parcours qui revêtiront toujours une aura de mystère.
Lovecraft était un homme torturé, masochiste, rêveur, poète. Il détestait le monde mais ne pouvait s’empêcher de faire preuve de considération. Homme de réserve et de débordements épouvantables. Éducation et exclamations. Solitaire désabusé, cynique ou lucide —qui sait ? Lovecraft était déraciné, déçu, démotivé, déchainé. Il était peut être même psychotique, si on voulait pousser.
C’était avant tout un créateur. Un être humain dans tout ce que cela peut représenter d’effroyable à vivre et appréhender.
Voilà ce que l’essai de Houllebecq a su retranscrire. Tout en s’interrogeant sur le processus créatif de Lovecraft, et dans une moindre mesure le processus créatif dans sa généralité, l’essai, bien introduit par la préface de Stephen King, constitue ce que tout fan de HPL devrait apprécier à sa juste valeur : un peu de temps avec l’écrivain, un peu de temps avec l'être humain en question.