C’est un livre qui fait voyager et qui fait rêver. Une histoire d’amour sur fond d’une Haïti florissante, en 1938, avant la dictature de « Papa Doc » Duvalier et avant l’ère moderne qui signera le glas de l’île et de sa magie, comme cela est d’ailleurs mentionné dans le livre.
L’histoire se situe à Jaqmel, un port prospère du sud-ouest de l’île, où vit une communauté mixte, autant sur le plan religieux que culturel. Ce synchrétisme, qui est à la source de la religion vaudou, trouve son apogée dans l’enterrement d’Hadriana Siloé, qui meurt brutalement le jour de son mariage. Celui-ci est l’occasion d’une fête extraordinaire, qui occupe une grande partie du récit, où l’auteur nous plonge dans un carnaval fabuleux mêlant les époques, les danses, les musiques, la magie.
Le vocabulaire est chamarré, bigarré, pour rendre compte de cette réalité magique dans laquelle vivent les habitants, où les morts côtoient les vivants, où un apprenti sorcier qui a offensé son maître par sa lubricité peut être changé en papillon pervers qui déflore les jeunes filles dans leur sommeil, où les loas prennent possession occasionnellement des vivants.
Le Zombi est évidemment au centre du livre, autant fascinant que menaçant. L’auteur nous « tire des Contes » connus à Haïti, où des esprits malveillants asservissent leurs frères et leurs soeurs pour travailler à l’usine ou aux champs. Hadriana elle-même a été « zombifiée » dans le but de devenir une esclave sexuelle. Derrière cette magie folklorique, le premier zombi est l’esclave, le colonisé, l’homme et la femme noire, comme le signale René Depestre dans une ébauche d’essai qu’il insère dans le récit.
Mais le livre, comme le dit l’auteur, est avant tout une célébration de l’amour et de l’imaginaire, et c’est toute la sensualité et le rêve d’une Haïti perdue qui sont mis à l’honneur ici. Dommage qu’un « male gaze » un peu trop présent vienne ternir les festivités, avec des passages un peu gênants où l’on doit sourire d’un médecin « don Juan » qui profite de la mort d’une jeune fille pour la tripoter, ou encore d’un professeur qui se félicite de la beauté exotique de ses étudiantes.